Misère, clientelisme, corruption, terrorisme,... Cet inventaire à la Prévert très noir donne un avant-goût de ce que vous pourrez trouver dans l'Immeuble Yacoubian de Alaa el Aswany. Cet auteur nous fait découvrir une Egypte sourde aux maux de ses hommes, une Egypte qui étouffe les ambitions les plus nobles au profit des bassesses les plus minables. Un livre qui fait mal. Et pourtant tout n'est pas si simple, si caricatural, si tranché.
Bien sûr, la condition des femmes est révoltante, bien sûr le népotisme fait frémir, mais l'Egypte de l'Immeuble Yacoubian reste plus que ça. C'est une Egypte qui chante, qui fume, qui boit, qui aime, qui cherche. Une Egypte qui n'est pas celle des pyramides et des touristes, mais bien une Egypte du quotidien de la rue, au passage.
Ce roman plaira à ceux qui aiment comprendre les sociétés de l'intérieur. El Aswany est un reconstructeur d'ambiance de talents. On sent les odeurs, on entend les bruits du Caire. Il sait aussi faire se croiser les différents personnages avec subtilité, si bien qu'on voit se tisser le lien social, on le voit aussi se défaire, de pages en pages, tout en étant dans ce brouhaha de personnages qui font la vie d'un immeuble.
Ce roman intéressera ceux qui se penchent sur le devenir des êtres, dans leur lutte quotidienne pour se faire une place dans ce monde, que ce soit en passant par les études, la religion, les magouilles, l'amour. Ils pourront suivre Taha qui plonge dans l'islamisme. Azzam qui coule dans l'affairisme. Entre autres.
Je vous offre l'incipit: "Cent mètres à peine séparent le passage Bahlar où habite Zaki Dessouki de son bureau de l'immeuble Yacoubian, mais il met, tous les matins, une heure à les franchir car il lui faut saluer ses amis de la rue: les marchands de chaussures, et leur commis des deux sexes, les garçons de café, le personnel du cinéma, les habitués du magasin de café brésilien. Zaki bey connaît par leur nom jusqu'aux concierges, cireurs de souliers, mendiants et agents de la circulation. Il échange avec eux salutations et nouvelles. C'est un des plus anciens habitants de la rue Soliman-Pacha."
Ce livre est aussi l'occasion pour moi de lancer deux nouvelles rubriques: celle intitulée "romans d'immeuble" et celle intitulée "découvrir un pays". La première vous plongera dans des histoires qui sont construites autour d'un immeuble, dans des lieux et époques différentes. La deuxième vous permettra de vous plonger dans la découverte d'un pays, par l'écriture. Encore plus d'entrées possibles pour vous fidèles lecteurs dans le monde des romans d'ici ou d'ailleurs, à la recherche de petites pépites à partager! Vue pan-or-amique garantie!