27 janvier 2010

688 pages après...




Suivant ma bonne résolution de revisiter les classiques, je me suis lancée dans L'idiot de Dostoievsky. Et mes impressions sont assez mélangées.


Bien sûr, on connait l'histoire de base: un "idiot" qui revient d'une cure en Suisse pour cause d'épilepsie regagne la société russe de St Petersbourg, où il se noue d'amitié avec des personnages complexes, comme leurs noms russes (Gabriel Ardalionytch, Yvan Fedorovitch Yepantchine, et j'en passe et des meilleurs)! Comme il est un peu naïf, on le prend soit pour un dangereux imposteur qui cache son jeu sous ses airs niais, soit comme un imbécile dont on se moque ardemment! Mais très vite, le procédé littéraire est utilisé pour que les personnages se prennent en pleine figure et avec toute sincérité leurs travers les plus odieux.


Derrière cette histoire s'en cache une autre, qui fait balancer notre héro idiot entre deux femmes: Nastasie Philipovna et Aglae Yepantchine. La première est une femme présentée comme une courtisane de peu de vertu, et qui balance entre tous les hommes de cette société russe que forment les personnages du livre. La seconde est la dernière des trois filles d'un général qui a des idéaux nobles et romantiques de vie, et espère faire un beau mariage loin de tous les noms de prétendants que lui soufflent ses parents.


Et il y a derrière tout ça une trame sans queue ni tête, des tas de digressions, d'excès, de scènes d'ivresse, de scènes de suicide ou de meurtre ratés dont tout le monde rit, de scènes de jeux dangereux en société où chacun révèle ses pires affaires et ses plus gros mensonges, etc.


C'est étrange comme ce grand style, cette finesse psychologique, ce théâtre détonnant, peut se retrouver comme noyé dans une masse de textes qui parle tout autant de nihilisme, du christ (d'ailleurs certain voit en le personnage de l'idiot une vision de Jésus), du destin, etc.


Et en plus, Dostoievsky nous confie sa vision de la littérature, de ses personnages, de son écriture, comme par exemple au début de la partie IV:


"Il y a des gens qu'il est malaisé de définir d'un seul trait, qui les aurait peints sous leur aspect particulier et caractéristique. Ce sont eux qu'on a l'habitude d'appeler 'des gens ordinaires', 'la majorité' et qui constituent effectivement l'immense majorité de la société. Les auteurs des romans et des nouvelles s'efforcent la plupart du temps de peindre des 'types'. Ces personnages ne se rencontrent presque jamais à l'état pure, bien qu'ils soient plus réels que la réalité même."



Il y a dans ce roman le bouillonnement de l'âme russe, qu'on le retrouve aussi chez Boulgakov mais d'une toute autre façon bien sûr, encore plus surréaliste qu'ici.


Les dialogues de L'Idiot sont fous, emprunts de sarcasme, de beuverie, d'espièglerie, et de force.


"-L'étranger me tuait. Je me rappelle être sorti de cette obscurité un soir à Bâle à la frontière suisse, et c'est un cri d'âne au marché de la ville qui ma réveillé. L'âne me fit une impression extrême et je ne sais trop pourquoi, un plaisir immense; et alors tout est devenu clair dans ma tête.

-Un âne? C'est bizarre! fit la générale. Après tout, il n'y a rien de bizarre à cela, il se peut que l'un de nous s'éprenne tout d'un coup d'un âne, ajouta-t-elle."


Que dire après tout ça? Que comme dans tous les chefs d'œuvre, on en ressort la tête pleine de sensations qu'il faut digérer lentement. Essayer de raconter L'idiot, ce serait comme essayer de raconter La recherche de Proust. Je crois que dans l'un comme dans l'autre chacun peut y trouver des choses très différentes.


J'ajouterai que ce n'est pas une lecture facile, avec une intrigue directrice qui porte le lecteur d'un bout à l'autre.


Je conseille donc ce livre aux amateurs de culture Russe qui sont prêts à s'immerger dans des centaines de pages tortueuses!


Je recommande ce roman à ceux qui veulent revoir leurs classiques et qui ont le temps et l'énergie de se lancer dans un pavé.


Je pense que ce livre est aussi pour ceux qui en ont marre des constructions habituelles de livres ou de films. Où l'on sent dès le début les choses qui vont se passer. Où l'on sait dès le début les lignes qui vont rester graver et celles qui vont s'effacer. En lisant l'Idiot, ils pourront lâcher prise, et se noyer dans un style qu'on ne trouve plus de nos jours.

16 janvier 2010

Tome 2: Attendre et espérer


Je viens de refermer le tome 2 (et dernier tome) du Comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas. Quel bonheur! C'est tout aussi palpitant, d'autant plus qu'on s'approche du dénouement. C'est tout aussi riche de rebondissements, de coups de théâtre, et de scènes à couper le souffle!

Alexandre Dumas rivalise d'ingéniosité dans le choix des titres de chapitre. Mon préféré est: "Le moyen de délivrer un jardinier des loirs qui mangent ses pêches", et ce, sans hésitation!

Il multiplie aussi les clins d'œil aux lecteurs pour notre plus grand plaisir:

"Un col de satin noir sortant des mains du fabricant, une barbe fraîche, des moustaches grises, l'œil assuré, un habit de major orné de trois plaques et de cinq croix en somme, une tenue irréprochable de vieux soldat, tel apparut le major, ce tendre père que nous connaissons."

Ce personnage bien sûr n'est ni père ni major comme il le prétend, et Dumas nous rappelle habilement qu'il nous a mis dans la confidence et que nous pouvons savourer ce moment où tous les personnages se font berner par le faux noble soldat, sauf nous bien sûr, et son héros.

Et en prime, le ton se complexifie. On sent l'amertume, le doute, et l'ironie pointés leur nez. Les lumières et les couleurs sont moins tranchés. Chaque personnage interroge ses choix, sa destiné, ses luttes. Les faits et les actes prennent des sens différents, moins nets, plus gris.

"Allons donc, homme régénéré; allons, riche extravagant; allons, dormeur éveillé; allons, visionnaire tout-puissant; allons, millionnaire invincible, reprends pour un instant cette funeste perspective de la vie misérable et affamée; repasse par les chemins où la fatalité t'a poussé, où le malheur t'a conduit, où le désespoir t'a reçu; (...) Cache ces diamants, souille cet or, efface ces rayons; riche, retrouve le pauvre; libre retrouve le prisonnier; ressuscité, retrouve le cadavre."

Ce qui reste cependant c'est la satire de la société de cour, où l'on est tour à tour porté aux nues ou à l'échafaud, et ce en fonction d'un rien. Tout n'est que "rentes", "titres" et "faux semblants". Pour le meilleur et pour le pire. La célébrité se crée comme elle s'efface. Les coups sont donnés, puis oubliés. Dumas nous offre une lecture du monde toujours d'actualité.

Si Dumas nous transmet une leçon, c'est peut-être celle-là:

"Voici tout le secret de ma conduite: Il n'y a ni bonheur ni malheur en ce monde, il y a la comparaison d'un état à un autre, voilà tout. Celui-là seul qui a éprouvé l'extrême infortune est apte à ressentir l'extrême félicité. Il faut avoir voulu mourir pour savoir combien il est bon de vivre.
Vivez donc et soyez heureux, enfants chéris de mon cœur, et n'oubliez jamais que, jusqu'au jour où Dieu daignera dévoiler l'avenir à l'homme, toute la sagesse humaine sera dans ces deux mots:
Attendre et espérer!"

Je vous recommande donc très vivement ce roman. Je me porte garante: vous ne serez pas déçu. Vous ne verrez point passer les heures. Et vous ressortirez fort de cette lecture délicieuse, avec l'envie d'autres mots et d'autres voyages...


Un grand merci à Jean-Pierre de m'avoir prêté ce roman, et à Nassira de me l'avoir recommandé si vivement.

10 janvier 2010

Tome 1 au coin du feu















Lors de mon réveillon, de joyeuses âmes m'ont conseillé de lire Le comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas... Et quel ne fut pas mon bonheur de passer le 1er de l'an devant le feu à lire le tome 1!








Etant donné que le roman a été publié sous la forme d'un feuilleton, on se régale de chapitre en chapitre, car le suspense est dense! C'est un peu la série télé d'un autre siècle, avec ses mystères, ses rebondissements...








Je trouve d'ailleurs que l'écriture est très théâtrale, presque même cinématographique. Les gros plans sur les visages des personnages qui découvrent des pans cachés avec surprise, ou essaient de cacher leur jeu, sont nombreux et amusants. On tremble, on frémit.








L'histoire: Edmond Dantès, un jeune homme sur le point de se marier et de devenir capitaine, est accusé de bonapartisme et enfermé en prison sans jugement pendant de longues années... Jusqu'au jour où il parvient à sortir de sa situation, et décide de se venger. Il met alors au point des stratagèmes très fins et méticuleux...








J'aime l'éloge de l'intelligence, du savoir, et du bon mot que fait Dumas:








"Au reste, mon véritable trésor, voyez-vous, mon ami, n'est pas celui qui m'attendait sous les sombres roches de Monte-Cristo, c'est votre présence, c'est notre cohabitation de cinq à six heures par jour, malgré nos geôliers. Ce sont ces rayons d'intelligence que vous avez versés dans mon cerveau, ces langues que vous avez implantées dans ma mémoire et qui y poussent avec toutes leurs ramifications philologiques. Ces sciences diverses que vous m'avez rendues si faciles par la profondeur de la connaissance que vous en avez et la netteté des principes où vous les avez réduites, voilà mon trésor, ami, voilà en quoi vous m'avez fait riche et heureux."








J'ai apprécié aussi toutes les interrogations sur la justice, et le sens du bien et du mal:








"Je me battrais en duel pour une misère, pour une insulte, pour un démenti, pour un soufflet, et cela avec d'autant plus d'insouciance que, grâce à l'adresse que j'ai acquise à tous les exercices du corps et à la lente habitude que j'ai prise du danger, je serais à peu près sûre de tuer mon homme. Mais pour une douleur lente, profonde, infinie, éternelle, je rendrais s'il était possible une douleur pareile à celle que l'on m'aurait faite: oeil pour oeil, dent pour dent, comme disent les Orientaux."








Ce qui est aussi remarquable c'est le sens de la manigance. On observe un homme tiré les ficelles. On sourit de voir des êtres mués par des fils invisibles, se faire avoir... après avoir menti, trahi, et infligé la souffrance.








"Les arbres, voyez-vous, monsieur Bertuccio, ne plaisent que parce qu'ils font de l'ombre, et l'ombre elle-même ne plait que parce qu'elle est pleine de rêverie et de visions."








Enfin, quelle langue! J'aime ce style désuet et maniéré, où changer un "Comte" en "Monsieur" peut être le summum de l'infamie!








Quelle douceur aussi de retrouver l'Italie (Lucques, Florence, Rome) et de voir combien les hommes du 19e siècle étaient des Européens bien avant l'heure.








Je conseille ce roman à ceux qui veulent replonger dans les méandres mélodramatiques des histoires d'enfants, où les méchants sont punis, et les bons triomphent! Dumas critique l'arrivisme, culte de l'argent et des apparences.








Je pense que ce roman plaira aux amateurs de romans historiques, avec les conflits entre Royalistes et Bonapartistes! On n'imagine pas à quel point ces partis pris pouvaient avoir de conséquences pour les concitoyens de l'époque. On ne réalise pas je trouve l'impact de l'instabilité politique du début du 19e sur les Français de l'époque. Toutes les corruptions par derrière, les arrestations arbitraires. Un jour vous êtes du bon côté, le lendemain du mauvais.








Bref, un roman qui peut vous donner une folle envie de revoir vos classiques en 2010!