24 février 2012

Extrêmement fort




Voici un livre extrêmement fort:
Le jour où Nina Simone a cessé de chanter de Darina Al-Joundi et Mohamed Kacimi.

C'est l'histoire vraie de Darina, née en 1968, fille d'un syrien réfugié politique au Liban et qui ne lui a transmis qu'un message en tant que père: être une femme libre, libre de croire, d'aimer, de danser, de boire, bref de vivre.

On suit son enfance, son adolescence et son devenir adulte sous les bombes, dans les abris, dans les exils, dans les hôpitaux, dans les bars,...

Ce livre se lit d'une traite tant on est emporté dans l'histoire, avec un grand H et un petit h. Les scènes sont fortes. Il y a le jour des funérailles de son père, où elle fait taire les récitations de Coran, malgré les représailles hors normes auxquelles elle s'expose. Il y a les soirées de coke et de roulettes russes entre jeunes à Beyrouth pour dompter la mort et les tirs permanents. Il y a les obus qui tombent, les écoles qui ferment, qui ré-ouvrent... les femmes qu'on enferme qu'on libère, les hommes qui sont un jour intellectuels, le lendemain prisonniers. Il y a ces scènes de la Croix rouge, où les blessés s'enchaînent dans toute la brutalité et la cruauté des massacres.

On découvre l'anomie et le chaos social de la guerre, et l'histoire du Liban, pays où se croisent des communautés diverses et qui peut devenir le théâtre d'affrontement qui le dépasse.

"Pour ne pas voir Beyrouth à la lumière, je vivais dans le noir, les rideaux tirés toute la journée. Je ne savais plus vivre sans la guerre, mon corps avait été programmé pour elle, depuis mon enfance, j'étais réglée par la peur, tous mes gestes n'avaient de sens que par rapport à elle, comment éviter les murs, les fenêtres, écouter le bruit, flairer le danger, traverser une rue, tout cela n'avait plus de sens avec la paix. Je ne savais plus aimer, ni baiser loin de la guerre, je ne pouvais pas dormir sans le murmure des balles. Du jour au lendemain, j'ai décidé de me faire la guerre, comme si je n'avais plus de goût à rien. Dans la rue, je me demandais tout le temps, en regardant les gens, qui avait tué et qui n'avait pas tué, qui avait violé et qui ne l'avait pas fait."

Comment trouver les mots pour dire la puissance de ce texte, l'émotion et la force qui s'en dégage?

A lire si l'on veut comprendre la guerre de l'intérieur, du côté humain trop humain.

A lire si l'on s'intéresse à la cause des femmes, à leur liberté et à leurs envies.

A lire si l'on veut comprendre l'arbitraire, la peur, et la folie.

Avis aux libres-penseurs, aux libres-aimeurs, vous goûterez encore plus vos désirs en voyant ce que veut dire en être privé.



Merci Sophie, d'avoir glissé ce livre dans mon sac...
Il s'inscrit très bien dans ma rubrique AU FEMININ!




21 février 2012

Rabelaisien?




Une découverte: l'écriture de Jorn Riel. D'origine danoise, il écrit avant tout sur le Groenland, et cela avec gouaille, humour, et roublardise.

Dans La maison des célibataires, on suit un groupe de vieux messieurs, qui squattent une veille maison et qui commencent à s'inquiéter pour leur retraite. Vont-ils pouvoir rester là? Vont-ils être mis dans un sinistre lieu pour vieux? Comment se sortir de l'affaire?

C'est alors qu'un d'entre eux se dit que pour s'assurer une rente, il serait bon d'épouser une riche veuve. Les voilà tous partis à l'aventure... Mais la vie de non célibataire n'est pas non plus toujours simple... quand on veut ne rien perdre de la vie, et quand la veuve en question a une sale réputation!

On observe donc avec amusement comment un homme qui ne se lavait jamais se met à s'habiller pour sa belle et ses moutons et ce devant une troupe de copains dubitatifs! C'est avec un ton polisson qu'on découvre la région et les habitudes du coin!

A lire pour se détendre avec gouaille, autour de vieux garçons buveurs...

A lire pour une courte pause haute en couleur!

Légèreté et humour...

Merci à Anne pour la découverte!

12 février 2012

Avis de perturbations!




Voici un pavé qui pose question et qui secoue: Le choix de Sophie.

Publié à la fin des années 1970, ce roman américain écrit par William Styron nous plonge dans l'après guerre, à Brooklyn. Stingo, un jeune homme qui essaie tant bien que mal d'accoucher de son premier roman se noue d'amitié pour Nathan et Sophie, un couple détonnant qui habite juste au dessus de chez lui. Les deux amoureux ne font que s'entre déchirer, s'aimer passionnément, violemment, sans limite. Stingo les suit dans leurs délires, dans leurs envies, et dans leurs peines. Il découvre que Sophie est une rescapée d'Auschwitz. Elle va peu à peu se livrer à lui, dans les moindres détails, jusqu'au plus extrêmes douleurs et humiliations.

La force de ce roman est d'interroger le nazisme avec un regard américain, où l'esclavage a aussi fait ses ravages. Les allés-retours entre la vie New Yorkaise et la vie du camp construisent un récit où se superposent les questions de bien et de mal, de folie et de littérature.

Le récit est une sorte de cycle infernal, qui reproduit des peines, des viols, et des moments doux et musicaux dont on ne trouve plus toujours le sens.

C'est donc un roman douloureux, et pourtant ponctué d'érotisme, de conversations métaphysiques, de rires et de dialogues enjoués.

Tout le monde ment, construit sa fiction pour mieux parler du réel. En ce sens, Le choix de Sophie pose la question de la sincérité, de la vérité, de la narration et du vécu sans cesse reconstruit.

Étrange roman réaliste, poussé dans ses recherches sur les plans nazis, mais qui créée pourtant des mises en abîmes qui jouent sur l'écriture et sa temporalité. Extraits de lettres, de journaux intimes, dialogues, dialogues rapportés, revus et corrigés, alternent avec brio, sans oublier les fameuses notes de lecture qu'écrit le narrateur au début du roman, et qui sont des petits amusements qui ne laissent en rien présager de la fin, et du terrible choix de Sophie.

Ce livre est donc à conseiller à tous ceux qui s'intéressent à la culpabilité, à la moral, et aux enjeux cornéliens du bien et du mal.

Un roman aussi à recommander à ceux qui s'interrogent sur les camps, le devenir des juifs, et surtout la survie des survivants après la chute du nazisme.

Un texte qui n'est pas facile, qui n'est pas à lire quand on est dans une mauvaise passe. Il contient des scènes choquantes. Il convient donc d'être dans de bonnes conditions pour se plonger dans Le choix de Sophie. Pour ceux qui le feront, ils en sortiront forts d'une vraie expérience littéraire, qui questionne la mise au roman des camps, et qui soulève de vrais enjeux moraux. Vous en sortirez perturbés, mais dans le bon sens du terme...

Un extrait sur Sophie qui vous montrera bien le style de Styron:

" Elle cherchait sa voie à tâtons. Pour avoir connu, et dans tous les sens du mot, une renaissance, elle avait un peu de fatigabilité, et en fait, beaucoup de l'impuissance d'un nouveau né. Sa gaucherie était celle du paraplégique qui retrouve peu à peu l'usage de ses membres. De petites choses, des petits détails absurdes continuaient de la dérouter."