27 février 2009

Le livre dont le fleuve est le héros...



Pour la première fois, j'ai lu un roman dont le personnage principal est un fleuve... C'est lui qui innonde le paysage, fait les premiers amours, les accidents, les décès. C'est lui qui tour à tour rassemble ou divise. C'est lui que l'on peut remonter, regarder couler, craindre ou aimer.


A côté, les hommes ne sont rien ou presque. A la limite du troublant, de l'ineffable. Le fleuve fait leur destin.


Un roman très italien dans les rapports entre les personnages.
Un roman de petits villages, de campagne et de pêche.
Un roman écrit d'une plume de maître.


Mes pages coups de coeur:


"Tout petit déjà, mon fils me demandait de lui expliquer l'amour, comment on pouvait le dessiner ce qu'on éprouvait pour les grands-parents ou pour les parents et pour m'en sortir, je lui racontais qu'il existait, mais qu'on ne pouvait pas le voir et encore moins le dessiner. Lorsqu'il alla en ville pour faire ses études de médecine il m'écrivit qu'il faisait des tas d'autopsies et que chaque fois il essayait, en vain, de le trouver caché quelque part. Et que pourtant il y était. Ainsi depuis des années, il m'envoie de Borrello des caisses pleines d'amour rien que pour moi et il les remplit toujours de paille pour qu'il arrive là encore intact."


"Il avait appris cela de sa fille Paoletta. Elle n'avait pas encore deux ans et le soir pour s'endormir ou dans les moments de tendresse, elle sortait à peine son pouce de sa bouche, murmurait 'morceau', tendait la main vers le cou de sa maman, frôlait la peau comme pour saisir dans sa paume un petit morceau de corps et approchait son petit poing fermé de son visage, pour en garder jalousement le contenu. Très vite, elle avait commencé à prendre un morceau de son papa quand il partait travailler. Elle courait après lui jusqu'à la porte, le prenait derrière son oreille et le mettait dans sa poche ou dans son tee-shirt. Un peu plus tard, elle commença sans bruit à en prendre à ses grands-parents quand ils lui racontaient des histoires, à ses petites cousines pendant leurs jeux, aux amis de ses parents qui la faisaient jouer. Il était évident maintenant qu'elle n'en prenait qu'à ceux qu'elle aimait."


Ce roman a eu le prix bacchelli, prix du premier roman.


25 février 2009

Et ce monde étrange continue de tourner...











Paul Auster nous montre avec Seul dans le noir, que son monde étrange continue de tourner... Comme toujours chez lui, c'est le quotidien mais tout est différent, comme dans un mauvais rêve, ou un pur cauchemard, mais on ne le sait pas encore!






Il nous raconte l'histoire de trois individus qui partagent la même maison et la même douleur face à l'existence: Il y a August Brill, le grand-père, critique littéraire qui invente une histoire pour lutter contre son insomnie... qui est veuf, et en plus accidenté de la route. Il y a sa fille, qui est en train d'écrire sur une poétesse pour essayer de se remettre de son divorce. Il y a sa petite fille, dont le copain est mort en Irak, et qui du coup ne vit plus, sauf à enchainer les DVD de vieux films.








En fait, tout semble normal a priori, comme dans La trilogie new yorkaise. Cependant, des évènements curieux viennent semer le doute. Cette fois-ci, les incroyables étrangetés n'arrivent pas directement au narrateur, August Brill, mais au personnage du livre qu'il conçoit dans son esprit, le caporal Brick. Ce dernier se retrouve dans des Etats-Unis en pleine guerre de cessession, où aucun 11 septembre n'a eu lieu. Il a pour mission de tuer August Brill, le narrateur du roman, qui l'a conçu ainsi que cette guerre civile atroce...








Ce qui fait dire au narrateur: " l'histoire est celle d'un homme contraint de tuer l'individu qui l'a créé, et à quoi bon prétendre que je ne suis pas cet individu? Si je me mets dans l'histoire, l'histoire devient réelle. Ou bien c'est moi qui devient irréel, une création supplémentaire de mon imagination."








Une mise en abîme digne de Paul Auster! Nul doute! Si bien que l'on se demande quand la fiction va faire son apparition dans le réel... et si c'est le réel qui fait son entrée dans l'imaginaire...








A part le jeu de l'esprit qui fait concevoir des échos très judicieux entre la vie du narrateur et celles des personnages de sa fiction, je dois dire que j'ai moins été séduite par la guerre civile recomposée par Auster, que par la vie des trois déchirés de l'existence, reclus dans leur maison du Vermont. Certes, l'invention imaginaire du grand-père seul dans le noir nous emporte comme a pu le faire La jetée de C. Marker ou son remake L'armée des douzes singes... Cela dit, je n'ai pas été totalement convaincue... Alors que les discussions familiales m'ont touchée, surtout sur la fin.








En fait, ce qui fait la beauté de ce Paul Auster, c'est sa reflexion sur l'écriture et les mises en abîmes de l'esprit.








Ensuite, c'est toujours et encore sa façon de questionner le normal qui nous entoure, et ses limites.








Enfin, j'aime toujours autant sa façon de faire entrer le cinéma dans ses lignes, avec des analyses de scènes de grands classiques, qui donnent très envie de les voir ou de les revoir!








Un roman qui donne envie de regarder des vieux films donc, de réfléchir à des portes pour sortir de son univers ou y entrer, bref, un Paul Auster, pas si mauvais que la critique veut bien le dire!








A vous de juger!












24 février 2009

A travers la vitre



Ma route a croisé Le boulevard Périphérique de Henry Bauchau, chez Actes Sud. J'ai été très émue et touchée par le justesse du propos de l'auteur. A nul instant celui-ci ne tombe dans la sensiblerie, et pourtant!


Il nous raconte les va-et-vient sur le périphérique d'un homme qui rend visite à sa belle fille à l'hopital jour après jour. Celle-ci se meurt d'un cancer, mais il faut garder l'espoir. Le serrer très fort. Lors de ces déplacements géographiques d'un bout à l'autre de Paris, le narrateur voit défiler bien plus que le paysage. Ce sont les années qui filent, que le trafic soit fluide ou bouché, que le RER remplace la voiture en panne ou pas. Il revit sa jeunesse, et surtout une amitié particulière qui l' a uni avec Stéphane, son compagnon d'alpinisme. On est alors transporté à l'époque de la seconde guerre mondiale et de la résistance.


On sent que ce roman est écrit par un psychanalyste qui guette les lapsus, les actes manqués, les regards complices, les gestes qui en disent long et loin au détour de nos carrefours du quotidien. Il est sans complaisance. C'est un texte construit autour de l'instrospection, des associations d'idées, des liens que l'on fait entre son histoire et son quotidien. Avec subtilité, le narrateur nous fait coller à son humeur, à ses mouvements de l'âme, au plus profond de l'intime.


Enfin, ce roman est une reflexion sur la mort, l'existence, et le sens que l'on veut bien donner à ces deux mystères. Ce roman nous plonge tour à tour dans l'ombre et la lumière, le bien et le mal. Tenues sont les frontières.


Henry Bauchau a eu le prix du livre Inter en 2008 pour Le boulevard périphérique. Et cela ne me surprend pas. Ce roman nous parle à nous, êtres singuliers, qui parfois assis dans le bus ou dans la voiture voyons passer à travers les reflets de la vitre bien plus que des images et des mots.

Je conseille ce livre emplis de sagesse à ceux qui sont en quête d'eux-mêmes et qui tentent de comprendre un brin de sens à ce qui nous échappe jour après jour.

Je recommande ce roman à ceux qui aiment lire des histoires liées à la seconde guerre mondiale, à l'occupation, à la résistance mais aussi aux amateurs de haute montagne, d'escalade, et de défis physiques.

Le boulevard périphérique est le roman d'un homme mûr, qui ne tourne pas en rond, mais nous invite à avancer avec lui au milieu des espaces intenses de nos intérieurs insondables.

22 février 2009

A vif!



De la chair à vif, voilà ce que nous propose Olivier Adam dans Passer l'hiver. Des personnages qui font face aux gerçures, aux égratinures et toutes les autres petites brûlures de la vie. Ca fait mal.


Ce sont de courtes nouvelles, qui nous grattent là où on ne pensait pas.


Une mère coincée au travail le jour de Noël, car sa chef veut qu'elle finisse un dossier.


Entre autres.


Un extrait:


"Je me sens vide. Tout le temps, je pense à ça. Ce vide à l'intérieur. Je me dis que si je pouvais me sonder en profondeur, m'ouvrir la tête et le coeur, et voir dedans, je ne verrais rien. Rien. Du vent, un désert, un champ de glace où rien ne bouge."


Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, Olivier Adam est l'auteur de Je vais bien, ne t'en fais pas, magnifiquement adapté au cinéma.


Olivier Adam, c'est du trop humain en conserve.

C'est à conseiller aux amateurs d'histoires courtes qui saisissent.
Mais aussi aux sensibles aux autres, et à leur façon de lutter au quotidien.
A éviter dans les moments de déprime totale...

12 février 2009

Une fenêtre au hasard




Un endroit où aller. Actes Sud. Une collection si émouvante derrière ses couvertures roses. Dernier lu du lot: Une fenêtre au hasard de Pia Petersen. Un livre fait pour ma rubrique Au féminin! Sans une seule seconde d'hésitation.


C'est l'histoire d'une fille très seule, standardiste, qui passe son temps à observer la fenêtre située en face de chez elle, tout en tentant d'écrire. Rien ne se passe, jusqu'au jour où quelqu'un emménage dans l'appartement vide qu'elle contemple.


"Ca fait longtemps maintenant que je m'assieds là, à mon bureau et que j'essaie de décrire la fenêtre d'en face. Trois ans. Trois ans que je recommence la même chose tous les jours, j'essaie de décrire la fenêtre en face et d'écrire quelque chose sur elle, des bricoles poétiques, peut-être, je n'en sais rien et je ne sais pas pourquoi. C'est comme ça, voilà tout. Elle est de l'autre côté de la rue. La fenêtre. La rue est étroite. La fenêtre est proche, juste en face, et parfois je me dis qu'il suffirait de tendre la main pour la toucher mais ce n'est pas vrai, elle est de l'autre côté de la rue, elle est trop loin et quand le temps est gris, je ne vois rien à l'intérieur, parce qu'elle est trop loin."


C'est un magnifique roman sur nos solitudes modernes, telles que révélées par les morts de la canicule, ou notre pratique intempestive de la télévision le soir, entre autres. C'est un livre urbain, où tout le monde se croise mais où personne ne sait rien des autres. C'est un livre sur le désir de tendresse. Un livre qui donne envie de ne pas passer à côté des gens. Et même de bannir ce mot: "les gens".


En le lisant, j'ai eu une pensée pour le film Rouge de Kieslowski, où l'on voit parfois l'héroïne croiser des voisins, des habitués du quartier, sans que jamais rien ne soit échangé. L'héroïne de Une fenêtre au hasard, comme Valentine, l'héroïne de Rouge, semble avoir une vie imaginaire. Et puis dans Rouge aussi, le personnage du juge à la retraite joué par Trintignant passe son temps à espionner les voisins.


Ce livre m'a aussi rappelé La conversation amoureuse d'Alice Ferney que j'avais tant aimée. Ces deux romans se ressemblent car ils sont chacun à leur manière des longs monologues intérieurs.


Pia Petersen est une écrivain danoise, qui a construit un paris du sensible dans Une fenêtre au hasard. Son univers comme son écriture est sans fioriture, méticuleuse.
Je conseille ce roman à ceux qui n'ont pas peur de la lenteur, des mots qui creusent le vide, le manque, l'absence.
Je recommande ce roman pour les longues après-midi d'été étouffantes, ou les soirées sans chauffage, c'est selon.
Un roman à lire si l'on veut regarder ses voisins autrement...

07 février 2009

Contes et brocante




Il se tient en ce moment une vente de livres (roman, poésie, théatre, etc.) à la maison des oeuvres de Saint Léon, 11 Place du Cardinal Amette, Paris 15e (metro la Motte Piquet Grenelle). J'y suis passée hier. Tous les livres de poche sont à 1 Euro... triés par ordre alphabetique comme dans une librairie. Tous les livres format classique sont à 2 ou 3 Euros. C'est comme un mini paradis sur terre! J'y ai passé des heures enchanteresses. Et j'y retourne de ce pas avec des amis.


Parmi les livres que j'ai pris hier, il y avait Départements et Territoires d'Outre-Mort de Henri Gougaud. C'était comme un petit moment de magie de le trouver sur les rayonnages, moi qui avait été écouter ce merveilleux conteur il y a deux semaines, dans le 18e.


Henri Gougaud est quelqu'un qui s'asseoit sur une petit tabouret et vous emmène loin comme ça, sans que vous ne preniez garde! Si vous voulez tenter l'experience, il a un site internet très bien fait. C'est ici. Vous pouvez trouver des contes en vidéo... ou voir où auront lieu ses prochains spectacles près de chez vous.


Sinon, il y a ses livres, avec des petites nouvelles ou contes, très forts. Avis aux amateurs! Tel n'est pas toujours pris qui croyait prendre! et vice-versa!







05 février 2009

Fabuleux





Lire La maîtresse des épices, de Chitra Banerjee Divakaruni est une expérience en soi, hors de tout, fabuleuse.


La maîtresse des épices est un livre magique, odorant, riche, puissant. Un livre plein de sagesse et d'humilité. Un livre d'un ailleurs si proche et si loin.


On suit la vie de Tilo, la maîtresse des épices. Cette indienne connait le secret du curcuma, de la cannelle, du cumin, du poivre, du fenouil, et j'en passe. Elle vit recluse dans une petite épicerie aux Etats-Unis. Elle voit passer des vies, parfois en devenir, parfois saccagées. Elle peut voir au plus profond des êtres, et leur concocter des mélanges qui, suite à ses incantations, pourront changer le cours de leur destin.


Chitra Banerjee Divakaruni a une voix de conteuse douce et envoutante. On est emporté dans le passé et le futur de Tilo, mais aussi dans ce quotidien de l'épicerie aux milles saveurs.


Chaque chapitre est construit autour d'une épice, dont il porte le nom en titre.


Un roman qui donne envie d'épicer sa vie. Mais bien plus encore.


Je vous offre l'incipit:


"Je suis Maîtresse des épices.

J'ai aussi appris à travailler d'autres matériaux. Les minéraux, les métaux, la terre, le sable et la pierre. Les gemmes avec leur eau pure et froide. Les liquides qui embrasent la vue de leurs teintes aveuglantes. J'ai appris à manier tout cela sur l'île.

Mais ce que j'aime moi, ce sont les épices.

Je connais leur histoire, la signification de leurs couleurs, et leurs odeurs. Je peux les appeler par leurs véritables noms, ceux qu'elles ont reçus à l'origine quand la terre creva comme une écorce et qu'elles jaillirent pour la première fois à la lumière. Leur feu court dans mes veines. de l'amchûr au safran, elles se plient à ma volonté. Sur un murmure de moi, elles me livrent leurs propriétés cachées, leurs pouvoirs magiques."


J'ai comme l'envie de conseiller ce livre à chacun d'entre vous. A vous de trouver le moment juste pour le faire entrer dans vos vies, ou dans celles de vos proches.


S'ils sont fous de cuisine, d'Inde, de saveurs, de voyages, de contes, ils seront soulevés par les mots de Chitra Banerjee Divakaruni.


S'ils sont en quête d'eux-mêmes, de leurs désirs les plus profonds, ils goûteront ces pages envoutantes.


S'ils sont just las, ce livre pimentera leur ordinaire.