09 août 2012

Corps et Esprit, Homme et Femme



Quel curieux voyage que celui que nous propose Nancy Huston dans Le journal de la création! Il s'agit d'aller au bout de ce que créer veut dire, aussi bien au sens propre d' enfanter, engendrer, qu'au sens littéraire d'inventer des romans, des vers, et des lettres.

Alors que Nancy Huston attend sont deuxième enfant, elle part à la découverte de ce que créer veut dire pour l'homme et pour la femme. Elle s'interroge sur la place particulière que peuvent avoir le corps et l'esprit dans ce mécanisme à travers l'exemple de couples d'écrivains célèbre. Sartre et Beauvoir, Sand et Musset.

C'est effrayant de voir à quel point le conditionnement social veut que l'homme crée des oeuvres grâce à des muses, tandis que la femme procrée.  Comme si pour qu'elle ait de l'esprit, écrive un roman, il fallait qu'elle renonce à la féminité, à la maternité!

Ce livre est étrange car il est très aride quand on tombe dans les recherches que Nancy Huston fait sur les couples d'écrivains, mais très humain et sensible, quand elle nous parle de ses maladies physiques et psychologiques, de son ressenti de la grossesse. En fait, elle tente de dépasser le dualisme homme/femme, corps/esprit par son texte même.

Un livre qui parlera aux femmes mais pas que!

"Ainsi tu seras mon fruit. Après les fragiles fruits fondants de la fin du printemps, fraises et framboises. avant les robustes fruits croquants et âcres de l'automne, pommes et raisins. Tu seras pêche, prune, abricot, un fruit tout rond dans la rondeur de l'été. 
Et je suis ton arbre.
Non pas ton arbre généalogique, tu ne porteras pas mon nom, mais l'arbre qui de sa sève t'aura formé. 
Le coeur de ton père bat mais tu ne l'entends pas. Les poumons de ton père respirent mais tu le les sens pas. Les entrailles de ton père sont vivantes, elles font des gargouillis, remuent, travaillent, digèrent, mais tu l'ignores."

C'est un récit très psychanalysant, où les connexions se multiplient entre vie et recherche, entre passé et futur. On y croise Oedipe, Electre, et bien d'autres. Nancy Huston nous montre à quel point on ne contrôle finalement que peu de choses en nous, tout en pouvant être créateur, force, art et vie.






02 août 2012

Etre au plus près de soi



Dans Toute passion abolie, de Vita Sackville-West, nous suivons Lady Slane, tout juste veuve, et qui décide enfin de vivre comme elle l'entend. Elle ne veut plus être réduite à son rôle d'épouse, ou de mère, ou de femme docile.

Ce roman écrit en 1931 est d'un style élégant et fin.

Tout y tourne autour du bien vieillir, de l'acceptation de soi, du détachement et des rêves.

Lady Slane nous montre quelle place donner au souvenir quand on prend de l'âge et que le corps devient un ensemble de petites douleurs.

C'est aussi un roman sur la place des femmes, les liens de famille, et les tensions lors de décès.

C'est un livre épuré, où les dialogues et les gestes sont les révélateurs de jeux sociaux avec précision, et où le sens de la vie est questionné avec tact.

Un livre à recommander à toutes, pour prendre un peu de hauteur et de recul. Ce personnage de Lady Slane est magnifique et attachant, dans toutes ses forces et ses faiblesses.

Deux extraits:

"Heureuse! Qui pouvait dire qu'elle l'avait été? Était-ce concevable de résumer toute une vie en un petit mot de deux syllabes. Heureuse! Certes, on pouvait l'être un instant, mais deux minutes plus tard connaitre le malheur. Heureuse! Qu'est ce que cela signifiait? C'était tout juste un mot commode pour ceux qui veulent que la vie soit uniformément blanche ou noire, pour ces petites gens perdus dans la jungle humaine et qui cherchent à se rassurer par une formule. Heureuse! Il y avait des moments où elle aurait pu dire: oui, j'étais heureuse; et avec autant de conviction: non, je ne l'étais pas."

"Et aussi la manifestation de toutes sortes de petites douleurs, pour lesquelles elle commençait à éprouver une véritable affection. En fait c'était son corps qui était devenu son plus fidèle compagnon. Jamais plus il ne se faisait oublier. Toutes les petites misères corporelles, celles-là même que l'on garde pour soi, qu'on ignore quand on est jeune, étaient désormais devenues envahissantes, exerçant sur elle une sorte de rassurante tyrannie. Ce soupçon de lumbago qui l'obligeait à quitter son fauteuil avec précaution lui rappelait ce jour où à Nervi elle s'était démis une vertèbre, depuis ce temps d'ailleurs son dos n'était plus très solide. Elle connaissait également de petits problèmes intimes avec ses dents, qui l'obligeaient à mâcher lentement, d'un côté plutôt que de l'autre. Instinctivement, elle pliait le troisième doigt à la main gauche, pour prévenir une douleur due à une névrite."