16 janvier 2012

Se trouver à Venise




Marlena de Blasi nous offre dans Mille jours à Venise, une double histoire: celle de son coup de foudre pour une ville et celle de son mariage soudain avec un beau vénitien.

Dans les deux cas, ce n'est pas tout rose, ce n'est pas sans aléas mais c'est riche, c'est dense, et c'est intense.

D'un côté, elle décortique la société de Venise, ses codes ("faire bonne figure", "ruser innocemment"), ses modes de fonctionnement, sa cuisine. Et ce avec son regard d'américaine, journaliste et critique gastronomique. C'est assez amusant car on en apprend autant sur les vénitiens que sur les américains et le regard qu'ils portent sur les vieilles villes européennes.

D'un autre, elle analyse son histoire d'amour, ses incompréhensions, ses doutes et ses passions. On sent le lâcher prise, on sent aussi la retenue.

Les deux histoires s'entremêlent habilement pour former un récit plein d'anecdotes, de piquants et de surprises.

Une des forces de l'histoire réside dans la sincérité de son auteur et son recul. Ce n'est pas le récit d'une jeune passionnée, fougueuse, aventurière. C'est avant tout l'histoire d'une femme mure, qui a déjà connu l'amour, les enfants, la vie.

Le deuxième grand atout du livre est que l'auteur est passionnée de cuisine et qu'elle joint au texte ses recettes préférées. C'est donc un roman gourmand, plein d'odeurs, d'ambiances de marchés.

Je n'ai qu'une envie, lire la suite: Mille jours en Toscane.

Un roman à conseiller à ceux qui aiment les voyages et la découverte des cultures, des cuisines et des histoires.

Un roman pour ceux qui aiment lire des témoignages de vie.

Un texte pour les amoureux d'Italie et de Venise. L'auteur partage vraiment son enthousiasme, son optimisme, ses ardeurs.

10 janvier 2012

Ce livre peut vous changer la vie...




Drôle de titre pour un roman très hollywoodien mais pas que. Entre apologie et dédain du monde de l'ouest américain, on oscille. Est-ce un livre à lire au premier ou au deuxième degré?

Richard, un trader richissime, se retrouve cloué sur son canapé avec une très forte douleur, qui lui donne la sensation qu'il va mourir sur place. C'est alors que tout bascule. Il rejette en bloc tout ce qui a été sa vie aseptisée, sans humanité, et se lance dans l'aventure de l'ouverture aux autres et aux sensations... bref à la vie. Il devient un bon samaritain.

Un livre qui ressemble à Ensemble c'est tout, Hollywood en plus. En effet, c'est avant tout un livre qui exalte les petits bonheurs du quotidien, les rencontres, et la possibilité de se reconstruire une existence riche de sens quand tout semble vide et vain. Un livre où l'on peut côtoyer les rock-stars et les acteurs, tout en mangeant des donuts chez l'indien du coin.

C'est aussi un livre qui parle de Los Angeles, et de cette ambiance côte ouest des Etats-Unis. Son climat, ses plages, ses acteurs célèbres, sa pauvreté. Un livre qui montre le pathétique de la vie là bas, tout en en captant des moments forts. Un lieu où l'on construit des villas top design sur des terrains non viables, où des chevaux sont sauvés par hélicoptère, et où l'on est dans la méfiance de tout.

Ce qui est intéressant je trouve, c'est que tout l'environnement dans lequel Richard évolue glisse, se troue, tremble, s'enflamme, comme le personnage lui-même. Ainsi glissement de terrain, trous qui apparaissent dans le jardin, et autres tremblements de terre se faufilent dans le récit et prennent une place particulière.

Un autre aspect riche du texte est la critique social. Les personnages mangent des produits extra sains, sans gluten, se font des perfusions de vitamines, et courrent sur des tapis roulants, mais d'un autre côté, ils n'ont aucun réflex sain de vie. Tout ce qui semble bon pour eux est complétement construit artificiellement. C'est un grand livre sur le vide.

L'argent aussi joue un rôle très fort. Ce qu'on peut ou pas s'acheter. Ce qu'on donne ou pas à l'autre. Ce qu'on laisse voir ou pas. Mais là encore d'une façon très artificielle.

On croise des archétypes: l'assureur, le médecin, le gourou, l'infirmière des urgences, la femme au foyer, etc.

Enfin, le livre interroge le lien père-fils. Richard a abandonné sa femme avec leur fils Ben, il y a longtemps, et la crise qu'il vit l'interroge sur sa démarche, et son éloignement familiale.

Ajouter à ça une dose de tout le monde peut être un héros, et vous avez le scénario du livre.

Ça se lit tout seul (beaucoup de dialogues, des traits d'humour), on s'attache aux personnages, et on a envie d'être dans l'ouverture et le possible en le lisant... tout en sentant l'amertume et le ridicule de cette société.

« Ils le hissèrent sur la civière, et lorsqu’ils le soulevèrent un cri lui échappa ; il ignorait pourquoi. Il était entouré de pompiers, d’infirmiers, de policiers qui le portaient ? cela faisait des années que personne ne l’avait porté. Il s’efforça de les aider, de se faire plus léger. Un flic lui demanda où se trouvaient les clés de la maison ? dans une vasque d’argent sur le plan de travail de la cuisine. Ils verrouillèrent la porte et lui tendirent la clé. Lorsqu’ils le roulèrent sur le brancard, le bercement cahoteux lui donna envie de dormir. Vous avez sommeil, vous aussi ? demanda-t-il. Personne ne répondit. »

Un roman pour ceux qui veulent se mettre à la diététique, à la méditation ou au yoga... ou pas!

Un roman pour ceux qui veulent changer de vie ou laisser la vie les changer.

Un roman pour les urbains en quête de sens... ou de cynisme.

02 janvier 2012

Du domaine des Murmures




On y arrive pas à pas, par la forêt, presque géographiquement, à ce château... en observant une carte, un territoire. Mais c'est bien dans l'histoire que nous sommes plongés, puisque le roman nous entraîne en 1187. Nous trouvons Esclarmonde au domaine, sur le point de se marier, mais qui va dire non et faire voeu de réclusion. Elle va être emmurée vivante dans une petite pièce attenante à la chapelle, avec seulement un espace de fenêtre à barreaux pour être nourrie. C'est alors qu'au lieu de se couper du monde, elle va devenir le centre des voyages des pèlerins, des récits des pêcheurs, et bien d'autres choses encore.

Curieux roman où le style ancien des "ribaudes" va de pair avec un regard moderne qui nous est comme adressé personnellement à nous les habitants du siècle 21. Etrange conte qui donne à voir la foi, la croyance, la religion, l'église, les prélats et les croisés tout en parlant de la vie, de sa fugacité et ses mystères, de ses fluctuations infimes ou fortes.

Un livre pour ceux qui aiment les romans historiques mais pas que... il y a du suspense, il y a des émotions, et de la modernité derrière cette vie de château.

Un texte qui donne un regard fort sur les femmes, le pouvoir, la domination, et les engagements.

Un livre qui montre que l'on peut voir le monde dans une goutte d'eau.

"Le monde en mon temps était poreux, pénétrable et merveilleux. Vous avez coupé les voix, réduit les fables à rien, niant ce qui vous échappait, oubliant la force des vieux récits. Vous avez étouffé la magie, le spirituel et la contemplation dans le vacarmes de vos villes et rares sont ceux qui, prenant le temps de tendre l'oreille, peuvent encore entendre le murmure des temps anciens ou le bruit du vent dans les branches. Mais n'imaginez pas que ce massacre de contes a chassé la peur! Non, vous tremblez toujours sans même savoir pourquoi."

Curieuse leçon que celle que nous livre cette narratrice recluse... Une forme de sérénité, de douleur et d'imaginaire légendaire jaillissent des pages et entrent en nous puissamment.

Carole Martinez a eu le prix Goncourt des lycéens 2011, et a été coup de coeur 2011 de la fête du livre de Saint Etienne. On comprend pourquoi! Il ne faut ni craindre le mysticisme, ni les longues descriptions moyenâgeuses. Tout est là mais d'un ton clair et digne.