25 janvier 2011

Résister




Il avait dix-sept ans, venait d'une famille riche, Action française, antisémite quand tout bascula avec son entrée en résistance le 17 Juin 1940. Il s'appelle Daniel Cordier, de son vrai nom, même si pour nous c'est Alain, son pseudo... et il nous raconte trois années de sa vie qui ont fait basculer tout ce en quoi il croyait croire de 1940 à 1943. Le livre s'appelle Alias Caracalla, et c'est un témoignage marquant.


Marquant par son honnêteté intellectuelle qui accompagne ce cheminement dans les idées, dans les valeurs politiques, et dans les engagemetns. Mais pas que.


Ce qui est fort c'est avant tout le jeu qui s'établit entre le récit aujourd'hui et les faits d'alors, et les recoupements qu'il multiplie entre les extraits du journal intime du jeune qu'il était à l'époque, et les extraits de lettres, de discours, de journaux de l'occupation.


Ce qui reste à la lecture de ce pavé de 900 pages, c'est avant tout les lenteurs de la résistance. Ce n'est pas du tout un roman d'espionnage, ce sont des rendez-vous manqués, des transmissions radio qui échouent, des codes qu'on n'obtient pas pour déchiffrer des textes, des parachutages annulés, les aléas des réponses et des décisions. Tout est complexe et politique. Les luttes sont fratricides entre PC, syndicalistes, SFIO,... Au lieu de voir des personnes cherchant à être efficaces pour libérer la France, on observe des allés et venues correspondant à des luttes de chef pour le pouvoir de demain. Chacun a sa propre perception de la guerre, de la stratégie à avoir, et personne ne s'accorde sur la façon d'agir, ce qui entraine une multiplication à outrance de réunions qui ne donnent rien, tout en faisant porter des risques inouis aux participants.


Ce qui m'a plu dans ce témoignage, c'est le récit d'initiation d'un jeune idéaliste à la guerre, à l'espionage, à la filature, etc. Mais c'est aussi pouvoir essayer d'imaginer tout ce qui a fait son quotidien d'infiltré en territoire occupé: Mémoriser des tas de pseudodymes, tout apprendre par coeur, ne rien laisser paraître, ne jamais attendre trop longtemps à un rendez-vous, relever des courriers sans cesse car pas de téléphone ou d'internet bien sûr, diner dans des bistrots avec les uns et les autres pour faire passer des sommes d'argent cachées dans des journaux, loger des gens de passages, juifs, alsaciens, juste pour une nuit sans jamais ne les revoir ni même pouvoir échanger sur son passé, son vrai nom.


Et toujours cette conscience absente et présente du danger, de l'incroyable de ce réseau fragile entre hommes résistants et souhaitant voir la France libérée.


Un livre auquel se rattacher comme une bouée pour continuer de s'indigner et de résister...


Un livre fleuve pour se plonger dans une époque sombre et compliquée...


Un livre d'histoire vivante, plein de surprises, de revirements...


"Fatigué par cette journée éprouvante, j'ai hâte de rentrer chez moi pour effectuer les derniers codages. C'est compter sans mon ultime rendez-vous dans la soirée avec M. Moret place des Terreaux. Il m'attend en compagnie d'un inconnu. Approchant dans la pénombre, je reconnais André Montaut, un des dix-septs du Leopold II en juin 1940. (...) Je le conduis rue des Augustins en attendant de lui trouver un logement, puis nous dinons ensemble. J'ai hâte de connaitre son odyssée. 'J'ai été choisi par le capitaine George alias Mec pour devenir son radio. Georges a pour mission d'établir une liaison avec le PC et les FTP.' Le jour de leur arrivée à Paris, en sortant de la gare, des agents du controle économique ont ouvert leurs valises et decouvert des denrées du marché noir. Ils se sont enfuis, abandonnant tout, puis se sont séparés après avoir convenu d'un rendez-vous le soir même. Lorsque Montaut es arrivé, à 7 heures, à la station de métro Grenelle, il a aperçu au loin Mec, qui cerné par des hommes en civil se débattait. Soudain, il le vit s'écrouler: il venait d'avaler sa pilule de cyanure."


14 janvier 2011

Minuit... en Inde ou ailleurs







Minuit l'heure des voeux, l'heure où tout bascule et rien ne bouge. Et s'il y a un livre que je vous souhaite de lire en 2011 c'est celui-là:




Les enfants de minuit de Salman Rushdie.




Une oeuvre magistrale, exhubérante, baroque, drôle et évoutante, sûrement à l'image de l'Inde que ce roman raconte. Un tourbillon de crachoirs à Béthel, de chutney, d'enfants des rues, de chansons, de gros nez et de grandes oreilles. Mais tout coïncide, tout se correspond, la petite et la grande Histoire, les odeurs et les prophéties, les serpents et les échelles. On rit et on pleure.




"Chaque nuage est bordé d'or." Cette phrase extraite du texte pourrait résumer le roman en son entier. C'est l'histoire d'un enfant, Saleem, né à minuit le 15 Août 1947, au moment de l'Indépendance, et qui tente, maintenant agé, de reconstruire les faits qui ont marqué sa vie en chapitres, en mots. Ce narrateur écrivain souligne les pièges de la mémoire, les jeux avec les souvenirs, tout en englobant sous sa plume, l'Indépendance, les guerres, les révoltes. Il joue avec l'écriture comme avec ses origines, supposées magiques... Même les scènes du quotidien les plus banales deviennent loufoques, intrigantes et belles.




Tout commence par l'avant, la vie de ses grands-parents, de ses parents et tout prend sens avec sa naissance et sa destinée: "Fin juin, au moment des pluies, le foetus était entièrement formé dans son ventre. Les genoux et le nez étaient là; et toutes les têtes qui pousseraient étaient déjà en place. Ce qui (au début) n'avait été qu'un point avait grandi pour devenir une virgule, un mot, une phrase, un paragraphe, un chapitre; maintenant cela explosait en développements plus complexes et devenait un livre - peut-être une encyclopédie - et même tout un langage... cela pour dire que la masse qui était au centre de ma mère était devenue si grosse et si lourde qu'au moment où le pied de notre colline haute de deux étages était inondé par une eau de pluie jaune et sale, que des bus échoués commençaient à rouiller, que des enfants nageaient sur la route liquide, et que les journaux détrempés flottaient entre deux eaux, Amina se retrouva dans une pièce circulaire, au premier étage de la tour, à peine capable de bouger sous le poids de son ventre de plomb."




On s'attache aux personnages, Morve-au-nez, Cheveux-gras, Singh-la-photo, Parvati-la-sorcière, le singe de cuivre, Shiva. On est emporté sur 800 pages par des phrases fleuves, brillantes, par des changements de rythme et de décors. Tout est dans les détails, dans les scènes souvent dignes de films!




"La réalité peut avoir un contenu métaphorique; cela ne la rend pas moins réelle." Une autre phrase qui fait écho au texte, qui souvent prend des allures de conte pour mieux nous parler d'un historique inédit. Et on croit à toutes les fables, à tous les destins.




"Minuit a beaucoup d'enfants; les descendants de l'Indépendance n'étaient pas tous humains. Violence, corruption, pauvreté, généraux, chaos, rapacité et ragoût au piment..." Un roman qui interpèle nos interprétations d'un tournant majeur de l'Histoire à travers les vues intimes et profondes d'individus mêlés et partagés. Une famille pleine d'humours, de sentiments, d'emportements nous guide de chapitre en chapitre jusqu'à pénétrer les mystères d'un pays hors du commun. J'aime les titres des chapitres, toujours choisi avec justesse parfois avec ironie, souvent avec humour.




"En tant que peuple, nous sommes obsédés par les correspondances. Les similitudes entre ceci et cela, entre les choses qui semblent n'avoir aucun lien, nous font battre des mains de bonheur quand nous les découvrons. C'est une sorte d'amour national pour la forme - ou peut-être simplement l'expression de notre croyance profonde que les formes sont cachées derrière la réalité; cela ne se manifest que par éclairs. D'où notre vulnérabilté aux présages..." Il y a tant et tant de passages qu'on aimerait garder en mémoire, partager, méditer, digérer, réentendre. Il y a un côté subjugant dans ce roman où le réalisme et la magie s'épousent et se cotoient, rient et se mentent à chaque page.




C'est incroyable le nombre de références aux dieux indiens, à la Bible, à la politique, mais aussi le côté simple et abordable de la lecture. Les lignes sont denses mais on est charmé si bien que les potions les plus exotiques nous semblent familières.




Un roman pour les amateurs de saga familiale et historique...




Un roman pour ceux qui s'intéressent à l'Inde, au Pakistan et au Cachemire...



Un roman pour ceux qui veulent tomber dans un style et une littérature inoublibable en cette nouvelle année.