24 avril 2010

Empreinte(s)




Quand la petite et la grande histoire joue à "je te tiens tu me tiens par la barbichette", ça donne l'Empreinte de l'ange de Nancy Huston...


Quand l'Allemagne, la France et l'Algérie se regardent en chien de faïence, ça donne l'Empreinte de l'ange de Nancy Huston...


Quand un flûtiste de renom et un luthier de génie s'éprennent de Saffie, l'Allemande mystérieuse aux yeux verts, ça donne l'Empreinte de l'ange de Nancy Huston...


... et pour nous lecteurs, ça donne des frissons, ça émeut, ça interpèle, ça sonne et ça marque, comme cette page 291:


"Faibles nous sommes, et craintifs, et surtout las, las.

Aveugles et muets nous sommes, les yeux bandés par nos propres mains, la gorge obstruée par nos cris.

Nous ne savons guérir notre douleur, seulement la transmettre, la donner en héritage. Tiens chéri.

Nous avançons grotesquement, à cloche cloche, écartelés: un pied dans nos petites histoires et l'autre dans l'histoire du siècle.

C'est tellement dur d'être lucide..."


Un roman à conseiller à tous ceux qui s'interrogent sur l'innocence, sur l'engagement, sur les cicatrices, et sur la mémoire.


Un roman à recommander à tous ceux qui aiment la musique, le souffle, les instruments et leur singularité.


Un roman à offrir à des germanistes, je pense.


18 avril 2010

Exceptionnel




Sur les conseils de Jean-Pierre et Alexandra (que je remercie très vivement), je me suis plongée dans A marche forcée, à pied du cercle polaire à l'Himalaya, 1941-1942 de Slavomir Rawicz. Et ce livre m'a marquée pour très longtemps je pense. J'ai envie de le conseiller à tout le monde!


Il s'agit du récit de la capture de Slavomir Rawicz, en Pologne, soupçonné par les Russes d'être espion, car il parle leur langue parfaitement, du fait de sa mère qui lui a transmis cet idiome. En fait, il n'est ni agent-double, ni soldat malveillant, mais il va connaître la torture, les interrogatoires sans fin, absurdes, les pires cellules, les jugements fantoches, avant de n'atterrir en Sibérie, dans un camp de travail forcé. Et là, au lieu de se laisser mourir, il va prendre en main son destin et décider de s'évader. Ayant trouvé des compagnons de cavale, il va fuir le camp et traverser des territoires dangereux pour gagner l'Inde. C'est alors un récit de vie inouï, où l'on suit pas à pas ce groupe d'hommes perdu dans l'imensité du monde, fuyant la barbarie des humains et s'affrontant à une nature pleine de surprises.


On a beau savoir qu'il a survécu, puisqu'il a écrit, on tremble avec Slavomir Rawicz page à page. On est admiratif de sa force d'âme, de son caractère, mais aussi de la solidarité qui se développe entre les évadés, et de l'accueil chaleureux qu'ils reçoivent dans leur long périple sous des climats hostiles. Ces scènes de rencontres sont d'ailleurs très émouvantes et belles, qu'elles se situent dans les cahutes en Mongolie ou dans les grottes des montagnes de l'Himalaya.


Tout d'abord, ce livre m'a plu car il exprime très bien la difficulté de la situation des Polonais envahis par les Allemands nazis et par les Russes staliniens en même temps. Ensuite, j'ai été impressionnée par les conditions de détention, les non-sens violents, et l'inhumanité des traitements. On n'image que très partiellement je trouve, ces hommes barbus, assaillis par les poux, et par la propagnande, contraints de signer des documents faux sous les coups répétés. Ce livre permet de mieux se rendre compte de l'ampleur de l'atrocité.


Je suis fascinée par le récit de l'évasion, par la précision des souvenirs de l'absurde mais aussi des immenses petites joies d'une bouchée de pain quand on n'a pas mangé depuis des jours. Des gouttes d'eau sur une langue sèche. Un oasis au loin.


Ce qui est fou, c'est que tous ces hommes du camp sont arrivés là prisonniers, comme ça, pour rien. Comme dans beaucoup de guerres ou de régimes totalitaires. L'un n'a pas réussi à réparer un tracteur qui de toutes les façons était foutu, alors hop accusé de sabotage. L'autre construisait le métro à Moscou, on l'a augmenté et hop on l'a arrêté un soir et saisi ses biens alors qu'on le déportait... Ainsi il a compris pourquoi on s'était débarrassé de lui du jour au lendemain, sans signes avant coureurs, et surtout pourquoi on l'avait augmenté!


Il y a aussi ces pages très émouvantes, comme les jours de Noël dans des conditions sordides.


Ce témoignage est à lire absolument. Ne passez pas à côté de cette humilité, de ce dépassement de soi.


Quelle créativité pour survivre, dans le froid sibérien, dans la sécheresse toride du désert de Gobi, dans les montagnes raides d'Himalaya. Quelle intensité de vie dans les moments les plus sourds et atroces. Quels rires quand l'humour reste le dernier espoir. D'ailleurs le personnage de Zaro, qui reste clown en toutes épreuves, nous donne à tous une grande leçon. Et c'est peu de le dire.


Ce livre est un concentré de liberté éblouissant, un texte extrêmement intense, où des hommes de 25 à 35 ans nous apprennent plus sur la vie en quelques silences, que de nombreux longs discours. C'est un récit de "voyage" hors pair, qui souligne ce que l'humain a de plus beau. Je crois qu'aucun homme ne peut rester insensible à ce témoignage poignant dans sa simplicité et son authenticité.


On referme ce livre en pensant très fort à ces hommes qu'on a accompagnés l'espace d'un instant. On se demande comment ils ont vécu après ces milliers de kilomètres de marche, après l'épreuve hors du commun, après l'inconcevable mais vrai. On aimerait avoir eu la chance de les connaître, car ce sont des êtres simples et grands, assurément.
Merci à Nicolas Bouvier d'avoir permis cette réédition.






08 avril 2010

Petits coeurs solitaires...




Et voilà un livre tout droit fait pour la rubrique "Au féminin" de ce blog, et qui se lit tout seul...


Il s'agit du Mec de la tombe d'à côté de Katarina Mazetti, une auteure suédoise qui a connu un succès international avec ce roman.


Il raconte une rencontre amoureuse à deux voix: celle de Benny, paysan au milieu de ses vaches et de sa ferme et celle de Désirée, bibliothécaire et citadine, qui vit dans un appartement épuré et chic. Alors oui, on est un peu dans le stéréotype du choc culturel, mais ce qui sauve le roman sont toutes les loufoqueries que l'auteur sème au cours du récit, à l'image du titre d'ailleurs. Ainsi on a par exemple une collègue bibliothécaire qui fait des dossiers d'archives sur les employés dignes des pires services secrets... On a des petits Haikus en tête de chapitre tout aussi à l'ouest, comme par exemple:


"Jour après jour

Face à face

Avec des miroirs fêlés

Et des PV triomphants sur le pare-brise"


Il en ressort, une certaine tendresse pour les personnages, un brin de cynisme quand même aussi... Un petit roman de filles qui ne mange pas de pain et dégage une certaine fraicheure en ce début de printemps.


Et puis j'aime bien la couverture du livre, ce qui ne gâte rien.

En bref, un roman pour les coeurs solitaires qui veulent s'offrir quelques minutes d'espoir et d'ironie suedoise...

Merci à Hélène pour le conseil... qui date maintenant... car j'ai passé un bon moment!