06 octobre 2006

La bienveillance

Non, je n'ai pas lu Les bienveillantes, ce pavé de 900 pages dépeints par tous comme le chef d'oeuvre du siècle. Pas envie d'être dans la tête d'un SS tueur, et cela malgré le fait que Jorge Semprun, un de mes auteurs préférés, en fasse un éloge superbe. En fait, je voudrais plutôt vous parler de Jorge Semprun et de ses livres, et puis aussi de la bienveillance et de Roland Barthes.

Jorge Semprun, pour moi, ce sont des tisanes froides, oubliées sur la table, tellement son écriture m'emportait loin, loin dans la vie. Jorge Semprun, c'était retrouver un univers de khâgne et de poésie après l'avoir quittée. Il m'en reste plein d'émotions et une envie d'apprendre des vers par coeur pour emmener des bruns de poèmes partout avec moi.

L'écriture ou la vie est indéniablement un livre à lire. Il raconte sa sortie du camp de Buchenwald et l'invention d'un mode de survie par l'écriture. Il parle aussi de la résistance, avec des scènes inoubliables.

- Il est avec un ami résistant, et ils sont en embuscade pour tuer un allemand, et là, ce jeune soldat se met à chanter La paloma, une chanson de l'enfance pour J. Semprun. Il est soudain paralysé, il ne sait plus que faire, il ne peut plus tirer, alors qu'il sait qu'il le faut...

- Il est debout devant les soldats américains qui viennent de découvrir le camp et de le libérer. Il comprend soudain dans leur regard son état, sa condition, son squelette. Il est soudain lucide, il ne sait plus que faire, mais il va avancer, et trouver les mots justes.





Dans Adieu Vive Clarté, il est un étudiant en première année de prépa. Un étudiant qui parle de son vécu sans parler de la suite, de la déportation, de la douleur... et pourtant indiciblement, on la sent poindre à chaque ligne.

Plus récemment, dans Vingt ans et un jour, il parle en espagnol de son rôle clandestin pour lutter contre le Franquisme. On découvre un autre visage, une autre voix.

Enfin, je voulais dire un mot de la bienveillance. Roland Barthes, dans son cours sur le Neutre, en donne une très belle définition. Il explique tout d'abord que ça vient du latin "bene volens" puis de l'italien "ti voglio bene": littéralement "je te veux du bien" J'aime cette idée, et j'apprécie la typologie qu'il en fait. Il distingue la bienveillance humide et la bienveillance sèche. La première consiste à manifester à l'autre notre attention, en lui demandant s'il a besoin de quelque chose, en l'entourant. La seconde est plus subtile. C'est une attention silencieuse et forte, qui me rappelle ce poème appris il y a longtemps déjà:

« Dans les rues de la ville il y a mon amour.

Peu importe où il va dans le temps divisé.

Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler.

Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima

et l'éclaira de loin pour qu'il ne tombe pas »

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