23 décembre 2012

L'enfant des forêts devenu poète...




C'est l'histoire d'une vie, comme le dit le titre, celle d'Appelfeld. Et quelle vie!

Il est né dans une famille juive des Carpates juste avant la seconde guerre mondiale. La vie s'écoule doucement, avec les paniers de fraises, la douceurs familiale. Puis c'est la rupture, les camps, la peur.

Appelfeld n'aimerait pas qu'on dise qu'il est un écrivain de la Shoah, pourtant son écriture est une tentative de mettre en mot l'indicible, et il réussit avec un immense talent!

Les moments les plus marquants sont ceux où enfant il fuit les camps en se réfugiant dans la forêt. Il se retrouve à vivre comme un petit animal, qui cherche à boire, à manger, contemple la nature aux aguets pour éviter les prédateurs, les humains, et survivre.

Un autre moment très fort est celui qui suit la libération des camps. Les enfants sont la proie des pervers, des impressarios, des meneurs, des commerçants, et j'en passe.

Je ne vous en dis pas plus, tant ce livre est un trésor d'expériences, à la limite de l'humain.

Le ton est épuré, simple, sincère.

"Je vécus deux ans dans les champs, entouré de forêts. Il y a des visions qui se sont gravées dans ma mémoire et beaucoup a été oublié, mais la méfiance est restée inscrite dans mon corps, et aujourd'hui encore je m'arrête tous les quelques pas pour écouter. La parole ne me vient pas facilement, et ce n'est pas étonnant: on ne parlait pas pendant la guerre. Chaque catastrophe semble répéter: qu'y a-t-il à dire? Il n'y a rien à dire. Celui qui a été dans un ghetto, dans un camp ou dans les forêts connait physiquement le silence. Durant la guerre on ne débat pas, on n'insiste pas sur les divergences. La guerre est une serre pour l'attention et le mutisme. La faim, la soif, la peur de la mort, rendent les mots superflus. A vrai dire, ils sont totalement inutiles. Dans le ghetto et dans le camp, seuls les gens devenus fous parlaient, expliquaient, tentaient de convaincre. Les gens sains d'esprit ne parlaient pas.
J'ai rapporté de là-bas la méfiance à l'égard des mots. Une suite fluide de mots éveille ma suspicion. Je préfère le bégaiement, dans lequel j'entends le frottement, la nervosité, l'effort pour affiner les mots de toute scorie, le désir de vous tendre quelque chose qui vient de l'intérieur."

Un texte à mettre dans les mains de ceux qui veulent être porteur de mémoire.

Un texte à recommander pour ceux qui aiment la poésie et les poètes.

Un texte pour comprendre ce que peut vouloir dire avoir été un enfant des camps, qui arrive en Israël orphelin sans avoir été à l'école pour tenter d' écrire sa vie...

Un grand merci à Christine, qui me permet d'ouvrir une nouvelle catégorie: Littérature israélienne!


1 commentaire:

Christine a dit…

Merci C. pour cette très belle lecture,qui toujours cite une "pépite" gourmande à partager, les quelques lignes les plus attachantes du texte, qui donnent envie au lecteur de se précipiter sur le livre. On y lit aussi une belle évocation de ses parents également : "des amoureux de la neige et des livres", je cite de mémoire.
Enfin, il faut saluer me disent mes amis qui parlent l'hebreu, la belle traduction de Valérie Zenatti, elle même auteur d'écrits très recommandables.