Body and soul, de Frank Conroy ou en français dans le texte Corps et âme (traduit de l'américain par N. Akrouf chez Folio) est un magnifique roman musical, mêlant le classique et le jazz, l'harmonie et la cacophonie, les altérations et les points d'orgue. Il s'adresse pourtant à tous, musicien ou non, pourvu qu'on s'intéresse à l'apprentissage et aux rencontres, à l'histoire avec un petit et un grand H.
A travers la vie d'un enfant prodige, Claude Rawlings, le lecteur redécouvre l'histoire du monde entre 1940 et 1960, mais aussi l'histoire de New York ville en pleine mutation, l'histoire des sciences, du cinéma et celle de la musique, et cela sans sécheresse, sans raideur, mais tout en délicatesse.
"Sa première vision sur l'extérieur était le soupirail en forme d'éventail de l'appartement en sous-sol. Il grimpait sur la table et passait des heures à examiner derrière les barreaux le va-et-vient des passants sur le trottoir, son âme d'enfant captivée par la contemplation des rythmes et des cadences, toujours différents, des jambes et des pieds qui traversaint son cham p de vision..." Tout débute là. Claude vit dans la cave d'un immeuble avec une mère dépressive et folle, accessoirement chauffeuse de taxi. Alors qu'il est maigrelet, qu'il ne comprend pas au juste la guerre, les communistes,... (et ce malgré les montagnes de journaux que ramène sa mère quotidiennement), il se penche un jour sur un piano et sa vie en est transformée. Il va se lancer dans une collecte de toutes les petites pièces de monnaie qui trainent sur les trottoirs de New York pour se payer des leçons de piano chez Monsieur Weisfeld, le propriétaire du magasin d'instruments de musique du quartier. Monsieur Weisfeld va transformer sa vie, lui apprendre les notes, les sons, l'harmonie, mais bien au-delà il va lui enseigner l'écoute, la quête, la curiosité, et bien d'autres choses encore. Commence ensuite une grande aventure, de professeur en professeur, de concerto en boogie, qui résonne en nous pages après pages avec douceur et émotion jusqu'au bout. De la petite boutique new yorkaise jusqu'aux salles de concert les plus mythiques, la vie de Claude va s'accélérer, entre amour et peine, surprise et désillusion.
Vous me direz: roman d'éducation banal, long, ennuyeux? Pas du tout. Entre les pages, Conroy glisse des perles, en jettant un regard tantôt ironique tantôt moqueur sur son époque. Il y a par exemple la description que fait Claude des films par catégories! "Westerns = ne pas s'approcher d'un bivouac sans s'annoncer de loin. Ne pas tirer sur un homme désarmé, ne pas tirer dans le dos, ne pas voler un cheval", "Films de guerre = La démocratie vaut qu'on meure pour elle. Les allemands sont intelligents, arrogants et sadiques. Les japonais sont traitres." "Film de gangster = le crime ne paie pas. La police est bonne à moins qu'elle ne soit corrompue", et j'en passe... C'est lapidaire et si bien écrit. Et puis, sans qu'on s'en rende compte, quelques pages plus loin nous sommes au pays de la physique, de la relativité, et Claude se perd dans une grande discussion avec son meilleur ami sur la chute des corps... Tout ça, sans vanité, mais avec justesse et style. En plus, une teinte de mystère accompagne le roman: qui sont les personnages que la mère de Claude transporte la nuit secrètement? Qui est le vrai père de Claude? Que cache le passé secret de Monsieur Weisfeld? mais ça, je ne vous le dirai pas, pour ne pas vous gâcher le plaisir de découvrir ce livre fort touchant... Certainement un de mes coups de coeur littéraire de l'automne.
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