Quel curieux voyage que celui que nous propose Nancy Huston dans Le journal de la création! Il s'agit d'aller au bout de ce que créer veut dire, aussi bien au sens propre d' enfanter, engendrer, qu'au sens littéraire d'inventer des romans, des vers, et des lettres.
Alors que Nancy Huston attend sont deuxième enfant, elle part à la découverte de ce que créer veut dire pour l'homme et pour la femme. Elle s'interroge sur la place particulière que peuvent avoir le corps et l'esprit dans ce mécanisme à travers l'exemple de couples d'écrivains célèbre. Sartre et Beauvoir, Sand et Musset.
C'est effrayant de voir à quel point le conditionnement social veut que l'homme crée des oeuvres grâce à des muses, tandis que la femme procrée. Comme si pour qu'elle ait de l'esprit, écrive un roman, il fallait qu'elle renonce à la féminité, à la maternité!
Ce livre est étrange car il est très aride quand on tombe dans les recherches que Nancy Huston fait sur les couples d'écrivains, mais très humain et sensible, quand elle nous parle de ses maladies physiques et psychologiques, de son ressenti de la grossesse. En fait, elle tente de dépasser le dualisme homme/femme, corps/esprit par son texte même.
Un livre qui parlera aux femmes mais pas que!
"Ainsi tu seras mon fruit. Après les fragiles fruits fondants de la fin du printemps, fraises et framboises. avant les robustes fruits croquants et âcres de l'automne, pommes et raisins. Tu seras pêche, prune, abricot, un fruit tout rond dans la rondeur de l'été.
Et je suis ton arbre.
Non pas ton arbre généalogique, tu ne porteras pas mon nom, mais l'arbre qui de sa sève t'aura formé.
Le coeur de ton père bat mais tu ne l'entends pas. Les poumons de ton père respirent mais tu le les sens pas. Les entrailles de ton père sont vivantes, elles font des gargouillis, remuent, travaillent, digèrent, mais tu l'ignores."
C'est un récit très psychanalysant, où les connexions se multiplient entre vie et recherche, entre passé et futur. On y croise Oedipe, Electre, et bien d'autres. Nancy Huston nous montre à quel point on ne contrôle finalement que peu de choses en nous, tout en pouvant être créateur, force, art et vie.