14 janvier 2011

Minuit... en Inde ou ailleurs







Minuit l'heure des voeux, l'heure où tout bascule et rien ne bouge. Et s'il y a un livre que je vous souhaite de lire en 2011 c'est celui-là:




Les enfants de minuit de Salman Rushdie.




Une oeuvre magistrale, exhubérante, baroque, drôle et évoutante, sûrement à l'image de l'Inde que ce roman raconte. Un tourbillon de crachoirs à Béthel, de chutney, d'enfants des rues, de chansons, de gros nez et de grandes oreilles. Mais tout coïncide, tout se correspond, la petite et la grande Histoire, les odeurs et les prophéties, les serpents et les échelles. On rit et on pleure.




"Chaque nuage est bordé d'or." Cette phrase extraite du texte pourrait résumer le roman en son entier. C'est l'histoire d'un enfant, Saleem, né à minuit le 15 Août 1947, au moment de l'Indépendance, et qui tente, maintenant agé, de reconstruire les faits qui ont marqué sa vie en chapitres, en mots. Ce narrateur écrivain souligne les pièges de la mémoire, les jeux avec les souvenirs, tout en englobant sous sa plume, l'Indépendance, les guerres, les révoltes. Il joue avec l'écriture comme avec ses origines, supposées magiques... Même les scènes du quotidien les plus banales deviennent loufoques, intrigantes et belles.




Tout commence par l'avant, la vie de ses grands-parents, de ses parents et tout prend sens avec sa naissance et sa destinée: "Fin juin, au moment des pluies, le foetus était entièrement formé dans son ventre. Les genoux et le nez étaient là; et toutes les têtes qui pousseraient étaient déjà en place. Ce qui (au début) n'avait été qu'un point avait grandi pour devenir une virgule, un mot, une phrase, un paragraphe, un chapitre; maintenant cela explosait en développements plus complexes et devenait un livre - peut-être une encyclopédie - et même tout un langage... cela pour dire que la masse qui était au centre de ma mère était devenue si grosse et si lourde qu'au moment où le pied de notre colline haute de deux étages était inondé par une eau de pluie jaune et sale, que des bus échoués commençaient à rouiller, que des enfants nageaient sur la route liquide, et que les journaux détrempés flottaient entre deux eaux, Amina se retrouva dans une pièce circulaire, au premier étage de la tour, à peine capable de bouger sous le poids de son ventre de plomb."




On s'attache aux personnages, Morve-au-nez, Cheveux-gras, Singh-la-photo, Parvati-la-sorcière, le singe de cuivre, Shiva. On est emporté sur 800 pages par des phrases fleuves, brillantes, par des changements de rythme et de décors. Tout est dans les détails, dans les scènes souvent dignes de films!




"La réalité peut avoir un contenu métaphorique; cela ne la rend pas moins réelle." Une autre phrase qui fait écho au texte, qui souvent prend des allures de conte pour mieux nous parler d'un historique inédit. Et on croit à toutes les fables, à tous les destins.




"Minuit a beaucoup d'enfants; les descendants de l'Indépendance n'étaient pas tous humains. Violence, corruption, pauvreté, généraux, chaos, rapacité et ragoût au piment..." Un roman qui interpèle nos interprétations d'un tournant majeur de l'Histoire à travers les vues intimes et profondes d'individus mêlés et partagés. Une famille pleine d'humours, de sentiments, d'emportements nous guide de chapitre en chapitre jusqu'à pénétrer les mystères d'un pays hors du commun. J'aime les titres des chapitres, toujours choisi avec justesse parfois avec ironie, souvent avec humour.




"En tant que peuple, nous sommes obsédés par les correspondances. Les similitudes entre ceci et cela, entre les choses qui semblent n'avoir aucun lien, nous font battre des mains de bonheur quand nous les découvrons. C'est une sorte d'amour national pour la forme - ou peut-être simplement l'expression de notre croyance profonde que les formes sont cachées derrière la réalité; cela ne se manifest que par éclairs. D'où notre vulnérabilté aux présages..." Il y a tant et tant de passages qu'on aimerait garder en mémoire, partager, méditer, digérer, réentendre. Il y a un côté subjugant dans ce roman où le réalisme et la magie s'épousent et se cotoient, rient et se mentent à chaque page.




C'est incroyable le nombre de références aux dieux indiens, à la Bible, à la politique, mais aussi le côté simple et abordable de la lecture. Les lignes sont denses mais on est charmé si bien que les potions les plus exotiques nous semblent familières.




Un roman pour les amateurs de saga familiale et historique...




Un roman pour ceux qui s'intéressent à l'Inde, au Pakistan et au Cachemire...



Un roman pour ceux qui veulent tomber dans un style et une littérature inoublibable en cette nouvelle année.

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