Il avait dix-sept ans, venait d'une famille riche, Action française, antisémite quand tout bascula avec son entrée en résistance le 17 Juin 1940. Il s'appelle Daniel Cordier, de son vrai nom, même si pour nous c'est Alain, son pseudo... et il nous raconte trois années de sa vie qui ont fait basculer tout ce en quoi il croyait croire de 1940 à 1943. Le livre s'appelle Alias Caracalla, et c'est un témoignage marquant.
Marquant par son honnêteté intellectuelle qui accompagne ce cheminement dans les idées, dans les valeurs politiques, et dans les engagemetns. Mais pas que.
Ce qui est fort c'est avant tout le jeu qui s'établit entre le récit aujourd'hui et les faits d'alors, et les recoupements qu'il multiplie entre les extraits du journal intime du jeune qu'il était à l'époque, et les extraits de lettres, de discours, de journaux de l'occupation.
Ce qui reste à la lecture de ce pavé de 900 pages, c'est avant tout les lenteurs de la résistance. Ce n'est pas du tout un roman d'espionnage, ce sont des rendez-vous manqués, des transmissions radio qui échouent, des codes qu'on n'obtient pas pour déchiffrer des textes, des parachutages annulés, les aléas des réponses et des décisions. Tout est complexe et politique. Les luttes sont fratricides entre PC, syndicalistes, SFIO,... Au lieu de voir des personnes cherchant à être efficaces pour libérer la France, on observe des allés et venues correspondant à des luttes de chef pour le pouvoir de demain. Chacun a sa propre perception de la guerre, de la stratégie à avoir, et personne ne s'accorde sur la façon d'agir, ce qui entraine une multiplication à outrance de réunions qui ne donnent rien, tout en faisant porter des risques inouis aux participants.
Ce qui m'a plu dans ce témoignage, c'est le récit d'initiation d'un jeune idéaliste à la guerre, à l'espionage, à la filature, etc. Mais c'est aussi pouvoir essayer d'imaginer tout ce qui a fait son quotidien d'infiltré en territoire occupé: Mémoriser des tas de pseudodymes, tout apprendre par coeur, ne rien laisser paraître, ne jamais attendre trop longtemps à un rendez-vous, relever des courriers sans cesse car pas de téléphone ou d'internet bien sûr, diner dans des bistrots avec les uns et les autres pour faire passer des sommes d'argent cachées dans des journaux, loger des gens de passages, juifs, alsaciens, juste pour une nuit sans jamais ne les revoir ni même pouvoir échanger sur son passé, son vrai nom.
Et toujours cette conscience absente et présente du danger, de l'incroyable de ce réseau fragile entre hommes résistants et souhaitant voir la France libérée.
Un livre auquel se rattacher comme une bouée pour continuer de s'indigner et de résister...
Un livre fleuve pour se plonger dans une époque sombre et compliquée...
Un livre d'histoire vivante, plein de surprises, de revirements...
"Fatigué par cette journée éprouvante, j'ai hâte de rentrer chez moi pour effectuer les derniers codages. C'est compter sans mon ultime rendez-vous dans la soirée avec M. Moret place des Terreaux. Il m'attend en compagnie d'un inconnu. Approchant dans la pénombre, je reconnais André Montaut, un des dix-septs du Leopold II en juin 1940. (...) Je le conduis rue des Augustins en attendant de lui trouver un logement, puis nous dinons ensemble. J'ai hâte de connaitre son odyssée. 'J'ai été choisi par le capitaine George alias Mec pour devenir son radio. Georges a pour mission d'établir une liaison avec le PC et les FTP.' Le jour de leur arrivée à Paris, en sortant de la gare, des agents du controle économique ont ouvert leurs valises et decouvert des denrées du marché noir. Ils se sont enfuis, abandonnant tout, puis se sont séparés après avoir convenu d'un rendez-vous le soir même. Lorsque Montaut es arrivé, à 7 heures, à la station de métro Grenelle, il a aperçu au loin Mec, qui cerné par des hommes en civil se débattait. Soudain, il le vit s'écrouler: il venait d'avaler sa pilule de cyanure."