Sur les conseils de Jean-Pierre et Alexandra (que je remercie très vivement), je me suis plongée dans A marche forcée, à pied du cercle polaire à l'Himalaya, 1941-1942 de Slavomir Rawicz. Et ce livre m'a marquée pour très longtemps je pense. J'ai envie de le conseiller à tout le monde!
Il s'agit du récit de la capture de Slavomir Rawicz, en Pologne, soupçonné par les Russes d'être espion, car il parle leur langue parfaitement, du fait de sa mère qui lui a transmis cet idiome. En fait, il n'est ni agent-double, ni soldat malveillant, mais il va connaître la torture, les interrogatoires sans fin, absurdes, les pires cellules, les jugements fantoches, avant de n'atterrir en Sibérie, dans un camp de travail forcé. Et là, au lieu de se laisser mourir, il va prendre en main son destin et décider de s'évader. Ayant trouvé des compagnons de cavale, il va fuir le camp et traverser des territoires dangereux pour gagner l'Inde. C'est alors un récit de vie inouï, où l'on suit pas à pas ce groupe d'hommes perdu dans l'imensité du monde, fuyant la barbarie des humains et s'affrontant à une nature pleine de surprises.
On a beau savoir qu'il a survécu, puisqu'il a écrit, on tremble avec Slavomir Rawicz page à page. On est admiratif de sa force d'âme, de son caractère, mais aussi de la solidarité qui se développe entre les évadés, et de l'accueil chaleureux qu'ils reçoivent dans leur long périple sous des climats hostiles. Ces scènes de rencontres sont d'ailleurs très émouvantes et belles, qu'elles se situent dans les cahutes en Mongolie ou dans les grottes des montagnes de l'Himalaya.
Tout d'abord, ce livre m'a plu car il exprime très bien la difficulté de la situation des Polonais envahis par les Allemands nazis et par les Russes staliniens en même temps. Ensuite, j'ai été impressionnée par les conditions de détention, les non-sens violents, et l'inhumanité des traitements. On n'image que très partiellement je trouve, ces hommes barbus, assaillis par les poux, et par la propagnande, contraints de signer des documents faux sous les coups répétés. Ce livre permet de mieux se rendre compte de l'ampleur de l'atrocité.
Je suis fascinée par le récit de l'évasion, par la précision des souvenirs de l'absurde mais aussi des immenses petites joies d'une bouchée de pain quand on n'a pas mangé depuis des jours. Des gouttes d'eau sur une langue sèche. Un oasis au loin.
Ce qui est fou, c'est que tous ces hommes du camp sont arrivés là prisonniers, comme ça, pour rien. Comme dans beaucoup de guerres ou de régimes totalitaires. L'un n'a pas réussi à réparer un tracteur qui de toutes les façons était foutu, alors hop accusé de sabotage. L'autre construisait le métro à Moscou, on l'a augmenté et hop on l'a arrêté un soir et saisi ses biens alors qu'on le déportait... Ainsi il a compris pourquoi on s'était débarrassé de lui du jour au lendemain, sans signes avant coureurs, et surtout pourquoi on l'avait augmenté!
Il y a aussi ces pages très émouvantes, comme les jours de Noël dans des conditions sordides.
Ce témoignage est à lire absolument. Ne passez pas à côté de cette humilité, de ce dépassement de soi.
Quelle créativité pour survivre, dans le froid sibérien, dans la sécheresse toride du désert de Gobi, dans les montagnes raides d'Himalaya. Quelle intensité de vie dans les moments les plus sourds et atroces. Quels rires quand l'humour reste le dernier espoir. D'ailleurs le personnage de Zaro, qui reste clown en toutes épreuves, nous donne à tous une grande leçon. Et c'est peu de le dire.
Ce livre est un concentré de liberté éblouissant, un texte extrêmement intense, où des hommes de 25 à 35 ans nous apprennent plus sur la vie en quelques silences, que de nombreux longs discours. C'est un récit de "voyage" hors pair, qui souligne ce que l'humain a de plus beau. Je crois qu'aucun homme ne peut rester insensible à ce témoignage poignant dans sa simplicité et son authenticité.
On referme ce livre en pensant très fort à ces hommes qu'on a accompagnés l'espace d'un instant. On se demande comment ils ont vécu après ces milliers de kilomètres de marche, après l'épreuve hors du commun, après l'inconcevable mais vrai. On aimerait avoir eu la chance de les connaître, car ce sont des êtres simples et grands, assurément.
Merci à Nicolas Bouvier d'avoir permis cette réédition.