Vue sur la littérature d'ici ou d'ailleurs, à la recherche de petites pépites à partager, pour ré-enchanter nos imaginaires d'avenir... Mon site web de prospective: pan-or-amiques.com
23 février 2020
Miss Islande
Un petit roman de Audur Ava Olafsdottir, dont j'avais beaucoup aimé Rosa Candida, à sa sortie.
Miss Islande se passe dans les année 1960, et nous raconte la place des femmes et des gays dans une société très conservatrice.
Nous suivons Hekla, une femme au nom de volcan, qui se rêve écrivain, mais qui subit les mains aux fesses des clients qu'elle sert, et leur rêve de la voir devenir Miss Islande! On la sent plutôt en quête, mais peu aidée.
Son meilleur ami métis est lui aussi en marge de la société. Son homosexualité est sans arrêt moquée au bord du bateau de pêche où il travaille. Il se sent obligé de se marier pour avoir une existence sociale reconnue.
Quant à la meilleure amie d'Hekla, Isey, elle tente de s’épanouir comme elle peut, mais elle est pour beaucoup coincée à la maison à s'occuper des enfants.
Enfin, le petit ami d'Hekla, le poète raté, ne relève pas le tableau grisonnant.
En somme, le roman est sombre, mélancolique, lent. On comprend vite que les chances sont fines pour les personnages de se sortir de leur situation. On les sent sur un fil, précaire, exclus. Un peu comme la voisine d'en face d'Isey, qui tourne et retourne dans son appartement et qui finit par disparaitre...
Et pourtant chacun à sa façon essaie de se sortir de sa condition par l'écriture.
Tout est dit au début du roman dans la citation de Nietzsche: "Il faut porter en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile qui danse;"
Un livre qui parle de l'énergie créatrice et de ce que l'on peut en faire.
Miss Islande est un texte féministe, sur le désir, sur la liberté, sur les choix que l'on assume ou pas. Un roman militant en quelque sorte.
Un livre à conseiller à ceux qui veulent découvrir l'ambiance Islandaise.
Merci à Marie-Louise pour ce beau cadeau.
Le roman a reçu le prix Médicis Etranger en 2019.
16 février 2020
L'art de perdre
Cela faisait un moment que je voulais lire L'art de perdre d'Alice Zeniter. J'ai donc décidé de le mettre dans mes lectures de début d'année, et j'ai bien fait!
Ce roman nous raconte une histoire de l'Algérie, à travers une famille. Il y a le grand père Ali, le montagnard de Kabylie. Celui qui a connu la guerre, celui qui essaie de comprendre comment se positionner au village vis à vis des français au moment où tout bascule dans les années 1960. Et puis il y a le père, Hamid, celui qui va arriver en France en 1962, et va grandir dans un camp de transit, en s'interrogeant sur sa double identité Algérienne/Kabyle et Française. Et puis il y a la fille, Naïma, celle qui tente de comprendre sa famille et l'Histoire avec un grand H aujourd'hui, à une époque d'attentats terroristes sur le sol français.
C'est magnifiquement écrit. Tout commence comme un comte de fées, avec Ali qui cherche son bonheur dans son petit royaume. Il est le roi qui n'a pas de fils et il va se marier à Yema. On trouve alors des pages somptueuses sur l'Algérie traditionnelle, sur la Kabylie, un peu comme celle-là:
"Une ancienne tradition Kabyle veut que l'on ne compte jamais la générosité de Dieu. On ne compte pas les hommes présents à une assemblée. On ne compte pas les œufs de la couvée. On ne compte pas les grains que l'on abrite dans la grande jarre de terre. Dans certains replis de la montagne, on interdit tout à fait de prononcer les nombres."
Plus loin, dans une deuxième partie, la plume est fine pour décrire le regard sur la France hexagonale pour les nouveaux arrivés:
"L'été, ici, ne s'interrompt pas brutalement. Il se liquéfie en automne. Avant même que les températures ne baissent, commencent les uns après les autres - ou peut-être au contraire fondus en un seul sans début ni fin - les jours de pluie qui mènent irrémédiablement vers la saison froide. Ils ne tambourinent pas, ils ne martèlent pas, ils ne fouettent pas comme cela arrivait à Rivesaltes ou à Jouques, non ici ça tombe sans force mais avec l'assurance de ne pas s'arrêter avant la fin mars. Hamid suit la progression des flaques entre les barres de la cité."
La troisième partie est celle de la quête, par tous les moyens... où comment une jeune génération a besoin de la transmission pour pouvoir déployer son existence avec sens.
La fresque romanesque se déploie habilement et l'on glisse d'une époque à l'autre, d'une sélection d'enjeux historiques à d'autres, d'une perspective à une autre, dans un flot attachant.
C'est aussi un roman d'émancipation, où chaque personnage s'interroge sur son destin, ses besoins, ses envies. Qu'est-ce que c'est que de devenir soit même au fond?
A souligner enfin les belles scènes d'amour qui sont écrites au féminin, à une époque où l'on parle beaucoup du "male gaze" versus "female gaze".
Un livre qui plaira à tous ceux qui s'interrogent sur l'immigration, les doubles identités, la question de l'intégration, etc. Un regard posé aussi sur les migrants, les réfugiés, tous ceux qui se trouvent parqués dans des camps.
Un roman qui est à conseiller avant de partir en vacances à la découverte de l'Algérie, pour avoir une image de ce que peut être l'histoire de ce pays sur les trois dernières générations.
500 pages qui donnent également un regard sur la guerre vue des civils, sur l'après-guerre aussi: les traumatismes des enfants et des grands. Et puis toutes les questions qui suivent la fin officielle d'un conflit: à qui appartient la terre?
Ce roman a reçu le prix goncourt des lycéens.
Merci à Caroline et Dominique de me l'avoir conseillé!
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