En voici un livre hors norme par son propos: La Porte raconte le lien très étrange entre une femme, qui ressemble fortement à l'auteur Magda Szabo, intellectuelle à Budapest et sa femme de ménage, Emerence. Tous les oppose: La première est très cérébrale, invitée dans des conférences; la seconde vit loin des livres, enfermée dans une maison où personne ne peut rentrer.
Ce qui rend le roman riche est la complexité du lien qui les unit, entre haine et amour, entre proximité et incompréhension. Tout se joue dans les détails, de ce que l'une ose ou pas dire à l'autre; ce que l'une ou l'autre fait ou ne fait pas; les liens qu'elles ont au chien, etc.
Tout commence sur le ton de la confession: la narratrice dit avoir tué Emerence... Commence alors le récit de leurs liens d'année en année. Un lien mystérieux et surprenant.
A demi mot, on lit l'autobiographie de l'auteur, sa dissidence, ses journées d'écriture. Mais le thème du roman est vraiment les enjeux de pouvoir et de dépendance. Qui s'appuie sur qui, qui domine qui dans le lien qui unit une femme de maison à sa femme de ménage? Quand l'une croit avoir le dessus tout bascule sur un rien.
Ce n'est pas un roman reposant à lire. Tout est tendu, compliqué entre ces deux-là. On est enfermé dans ce tandem, dans ce quotidien des plats préparés, des ménages, des non-dits.
Qui est cette vieille servante? L'humble, la gentille? La brutale, la voleuse? Toute l'intrigue tient là.
Un roman qui plaira à ceux qui aiment les personnages complexes psychologiquement et les mystères des vies simples.
Un livre à l'écriture fine.
"Quand nous nous sommes parlées pour la première fois, j'aurais aimé voir son visage, et j'ai été gênée qu'elle ne m'en laisse pas la possibilité. Elle se tenait devant moi telle une statue, immobile, non pas sur ses gardes, même assez détendue, je voyais à peine son front, à ce moment là je ne savais pas que je ne la verrais sans foulard que sur son lit de mort, elle était toujours voilée, comme une catholique fervente ou une juive le jour du shabbat à qui leur foi interdit de se présenter tête nue devant le Seigneur."