26 novembre 2018

1994



Un roman sur l'Algérie, comme un palimpseste où l'on retrouve en couches successives les traces des années qui passent et qui se superposent: 1962, 1994, 2004.

Adlène Meddi nous plonge dans la vie de deux jeunes, Amin et Sidali, qui portent sur leurs épaules la vie de leurs pères et de leur pays. Amin est interné dans un hôpital psychiatrique, après avoir craqué et pris une arme d'un coup, tandis que Sidali, exilé en France, a tué pour se venger puis fuit à nouveau. Comment vivre avec son histoire et avec la guerre, c'est tout le sujet de ce livre, où raisonnent les coups et les violences des années 1990, années noires Algériennes.

J'ai aimé découvrir comme les coulisses d'un pays en crise, les coulisses d'un monde qui tente de ne pas dérailler mais frôle toujours le non sens.

On y retrouve bien les maux et les mots de là-bas ("tonton", "tangos", etc), l'esprit du lieu dans les anecdotes (la condamnation à mort à chaque passage par un taxi dans le trafic chaotique!) mais aussi de magnifiques passages sur l'exil, le retour, le lien:

"Sidali avait trouvé des moitiés de tout: des moitiés de sa famille, des moitiés de son pays dont il ne comprenait pas une partie, une partie des lieux, des gens qui avaient changé de gueule avec l'âge ou l'effet déformant de la mémoire visuelle, des moitiés de lui-même éparses dans ce qu'il reste des lieux de mémoire, des moitiés d'Amin qu'il savait interné chez les fous. Des lambeaux de toute une vie laissée ici. Comme s'il faisait face à un corps déchiqueté, après une violente explosion.
- Dis-moi André, les choses arrivent-elles réellement?
- Heu... Elles arrivent, oui, puis font semblant de repartir."

J'ai vraiment apprécié aussi les passages où Sidali découvre une proximité avec les Corses, les liens invisibles des luttes. J'ai été touché par Houda, la femme qui tente de soigner et de comprendre sans se faire prendre à son tour...

Un roman sensible et fort sur l'anomie, la révolte, la vengeance, la peur, et les non-dits.

Un livre qui n'est pas facile à lire, pour les non-initiés au contexte et aux enjeux. Un texte touffu. Mais une construction de la narration qui marche, par ses échos du temps et les répétitions sourdes. Des passages ciselés et beaux, comme des étincelles. La volonté de ne pas tomber dans le tout blanc tout noir, mais bien d'illustrer la complexité des êtres et des choix.

Un grand merci à Caroline pour le diner inoubliable à Alger avec Adlène. Je n'oublierai pas nos rires et le tragique derrière.

Un autre grand merci à Adlène pour le décryptage sociologique et la force de la plume et de la fiction pour transmettre sans concession.




07 novembre 2018

Le goût amer de l'abîme



Caden a 15 ans. Il nous emmène dans ses pensées, avec un pirate, un perroquet, et tout un équipage sur un navire au milieu des flots agités et des monstres... Il partage avec nous ses peurs. L'impression d'être persécuté par certains camarades. L'impression de se retrouver dans une cuisine étrange... Tout se mélange, ses images mentales obsédantes, ses voix, et la vie du quotidien de lycéen.

On finit par comprendre que Caden est à la dérive, que Caden rentre en hôpital psychiatrique. Et tout se mélange, les vrais personnes qu'il côtoie à l’hôpital et tous ces êtres fictifs qui lui parlent, le hantent, l'obsèdent, l'inquiètent ou le rassurent.

Tiré d'une histoire vraie, ce roman jeunesse explore la maladie mentale du point de vue du jeune qui en souffre.

Neal Shusterman nous déroute, nous bouscule, en nous faisant découvrir des territoires différents du mental, de la perception et de la psyché.

Un roman qui est sans jugement, riche de la singularité d'un voyage mentale.

Neal Shusterman a ajouté à son texte les dessins de son fils, faits alors qu'il était lui même en pleine épisode de maladie mentale.

Je trouve que ce texte a le mérite de mettre en mot et en image le flux mental, d'aider à comprendre la folie et d'en montrer aussi toute la richesse infinie!

J'aime aussi que le roman fasse la place aux personnes qui entourent Caden, les camarades, sa sœur, ses parents, son psy, etc. Je trouve le lien entre Caden et sa sœur très beau, dans la difficulté de la maladie.

Un roman qui plaira à ceux qui aiment les aventures Out of the box, la différence mise en mot.





04 novembre 2018

L'architecte du sultan



Nous voilà au XVIe siècle, en plein Empire Ottoman. Jahan débarque avec son éléphant blanc à la cour du sultan Soliman le Magnifique. Il découvre des intrigues, la jolie fille du sultan, les gitans, les dompteurs d'animaux, mais surtout l'architecte royal ! Celui-ci va le prendre sous son aile et en faire un apprenti de talent.

Elif Shafak nous emmène dans un roman d'initiation et de cour qui marque par les personnages truculents qu'il abrite, par l'exotisme des coutumes, et par l'intrigue et le mystère des jeux de pouvoir. D'étranges accidents arrivent sur les chantiers, et on est pris dans l'enquête de Jahan pour comprendre qui tire les ficelles du drame.

C'est une sorte de conte magique, qui n'est pas sans rappeler Les Enfants de Minuit de S. Rushdie.

Un roman qui souligne combien l'arbitraire du pouvoir peut être violent, et comment différentes castes ou groupes sociaux peuvent jouer des codes et des coutumes pour tenir.

Un roman qui est une mise en fiction dans la fiction, car Jahan qui n'est ni dompteur d'éléphant ni architecte devient chacun de ses rôles tour à tour à force de le prétendre.

Une histoire fleuve qui nous fait découvrir l'histoire d'Istambul et qui nous fait réfléchir aux formes de pouvoirs justes et injustes.

Merci Anouck pour la découverte!