Un texte magistral: La carte postale d'Anne Berest.
C'est avant tout un enquête familiale. Anne Berest cherche à retracer le destin des Rabinovitch, ses aïeux, qui ont quitté la Russie pour la Lettonie puis la Palestine, avant de ne s'installer en France, au moment de la seconde Guerre Mondiale. Tous vont être déportés à Auschwitz sauf une: sa grand-mère Myriam. Alors que sa mère garde le silence, Anne va chercher à tout prix à comprendre l'histoire de ces ancêtres!
Basée sur une histoire vraie, l'intrigue cherche à comprendre - sur la base des archives, des témoignages - ce qui pourrait expliquer pourquoi une carte postale est arrivée un jour chez la mère d'Anne Berest, avec les noms des deux grands parents et des deux oncles et tantes, morts à Auschwitz. Qui a pu envoyer cette liste de quatre prénoms au dos d'une carte représentant l'Opera Garnier? Et à quelle fin?
L'enquête permet de revisiter l'histoire de France, à travers les trajectoires familiales. Elle montre aussi combien les petits enfants sont marqués par leur généalogie. Notre héritage n'est précédé d'aucun testament!
On croise René Char, Picabia, etc. On découvre les fonctionnements des réseaux de résistance et l'horreur de la collaboration, au quotidien. On touche du doigt les modes de survie, les détresses, les angoisses.
J'ai vraiment apprécié le style journalistique, qui pas à pas tire les fils pour dénouer les mystères du passé. Une plume très vivante qui nous donne à voir les instants forts des destins de la famille, comme si nous y étions.
Je trouve très riche aussi l'introspection de l'auteur: que veut dire pour elle être juive? que signifie pour elle rester fidèle à la mémoire de ses ancêtres? Quelle place l'écriture peut jouer dans son destin personnel et celui de la famille?
J'ai été sensible à toutes les petites et grandes coïncidences qui ponctuent le récit.
J'ai été marqué par le sens que le récit peut prendre aujourd'hui aussi: quelle place notre société fait à l'autre? Qui est solidaire de qui? Qui croit encore en quoi? Quelles valeurs met-on en avant pour faire société? Que faire face à des insultes en cours de récréation qui renvoient au rejet des juifs et à la xénophobie?
Avec des scènes très fortes, où l'auteur et sa mère retrouvent des objets de la famille chez un voisin, qui se les aient accaparés! ou encore le retour des déportés survivants, qui sont accueillis avec les mêmes bus, par les mêmes gendarmes, et pour des interrogatoires, car certains se feraient passer pour des déportés alors qu'ils ne le seraient pas!
Bref, un texte que je recommande vivement pour ne pas oublier, pour continuer de creuser nos héritages familiaux, pour rester lucide!
Un clin d'œil à Hélène Hautval, qui est remerciée à la fin de l'ouvrage et dont l'aïeule , Adelaïde Hautval joue un rôle remarquable au camp de Pithiviers.